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Full text of "Deux années en Ukraine (1917-1919) avec une carte de l'Ukraine"

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UNIVERSITY   «F   TORONTO 

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KATHLEEN   MADILL   BEQIIEST 


Deux  Années  en  Ukraine 


Charles    DUBREUIL 


Deux  Années  en  Ukraine 

(1917-1919) 

aVec  une  Carte  de  V Ukraine 


PARIS 

IIkmiy   PATLIN,   KclitiMir 
.'5,   Hue  (le  Rivoli.  3 

r.»i9 


'^Of 


FEB  1 5  1967 


AVANT- PROPOS 


De  tous  les  lambeaux  arrachés  à  l'Empire  des  Tsars, 
l'Ukraine  est,  sans  contredit,  de  beaucoup  le  plus  pré- 
cieux. On  comprend,  dès  lors,  que  ses  maîtres  d'autre- 
fois et  ses  adversaires  d'aujourd'hui  unissent  leurs 
efforts,  luttent  de  toute  leur  énergie,  contre  le  mouve- 
ment national  qui  pousse  le  peuple  ukrainien  à  vivre 
désormais  libre  et  indépendant. 

Cette  lutte,  violente  sur  le  territoire  de  l'Ukraine  où 
le  peuple  tout  entier,  hommes,  femmes  et  enfants  doit 
soutenir  des  combats  acharnés,  se  livre  en  France, 
surtout  à  Paris,  sous  forme  d'articles  de  journaux, 
d'informations  tendancieuses,  et  trop  souvent  men- 
songères, de  brochures,  de  mémorandums  et  de  tracts 
dont  le  but  unique  est  d'influencer  les  membres  de  la 
Conférence  de  la  Paix,  les  hommes  d'Etat  de  l'Entente 
et  surtout  le  public  français. 

La  question  ukrainienne  est  donc  à  l'ordre  du  jour: 
elle  semble  avoir  remplacé  la   question   balkanique, 


A\  ANT-I'HOI'OS 


(tiiln'fois  si  épineuse  el  comme  elle,  doiiiir  lien  a  des 
polémiques  violentes  dont  toute  courtoisie  cl  tout  sen- 
timent de  vérité  et  de  justice  semblent  fyanuis. 

Comme  de  très  gros  intérêts  français  sont  ciKjaijés 
en  Ukraine,  que  leur  avenir  dépend  entièrement  de 
la  solution  qui  sera  apportée  à  la  question  ukrainien- 
ne et  comme,  d'autre  part,  il  est  impossible  que  la 
France  prenne  à  l'égard  d'une  nation  opprimée,  une 
attitude  en  contradiction  flagrante  avec  tout  son  passe 
historique  et  nullement  conforme  au  droit  et  à  la 
justice,  il  paraît  du  devoir  de  tout  Français  revenant 
de  ces  régions  trop  ignorées,  non  seulement  de  dire 
ce  qu'il  a  vu,  mais  aussi  de  formuler  un  jugement  sur 
les  événements  qui  se  sont  déroulés  sous  ses  yeux  :  le 
public  français  pourra  alors  juger  sainement  sur  des 
faits  concrets  et  les  hommes  politiques  qui  détiennent 
en  leurs  mains  l'honneur  de  la  France  pourront  faire, 
en  connaissance  de  cause,  le  geste  qui  s'impose. 

C'est  pour  remplir  ce  devoir  qu'ont  été  écrites  ces 
pages,  sous  le  seul  patronage  du  respect  de  la  vérité 
et  de  la  plus  stricte  impartialité. 

Ch.  D. 

Paris,  le  15  Août  1919. 


DEUX    ANNÉES    EN    UKRAINE 


PREMIEllE    PARTIE 


MON  SÉJOUR  EN  UKRAINE 


Mon  arrivée  à  Kiev 

C'est  le  6  janvier  1917  que  je  débarquai,  pour  la 
première  fois,  à  Kiev.  En  toute  autre  circonstance, 
j'aurais  admiré  la  capitale  de  l'Ukraine,  avec  ses  rues 
larges  et  droites,  ses  hautes  maisons  aux  toits  rouges 
et  verts,  ses  multiples  églises  aux  dômes  dorés,  sa 
cathédrale  Saint-André  qui  s'embrase  sous  les  baisers 
du  soleil,  sa  double  croix  de  Saint-Vladimir  qui  s'illu- 
mine le  soir,  son  vieux  ([uartier  qui  s'étage  en  gradins, 
son  fleuve  majestueux  qui  roule,  à  la  belle  saison,  ses 
eaux  jaunes  et  profondes  sur  lesc[uelles  se  jouent, 
mouettes  vivantes,  une  multitude  de  voiles  blanches. 

Mais,  parti  précipitanimcnl  de  Biicaresl,  avec  ma 
famille,  cinquante  jours  auparavant,  (lucUpirs  heures 


i)i;i  x  ANNi:i;s  i.s  ikhainl 


à  j)cinc  avuJit  l'occupalioii  de  la  capitale  roumaine  par 
les  troupes  austro-allemandes,  je  venais  d'accomplir 
un  voyage,  véritable  odyssée,  (jui  avait  absorbé  le  plus 
clair  de  mes  économies  et  j'arrivais  dans  une  ville 
dont  j'ignorais  tout,  surtout  la  langue  et  où  je  ne 
connaissais  âme  qui  vive.  Je  n'avais  guère  l'esprit  ou- 
vert à  l'admiration. 

De  Kiev,  je  ne  vis  donc  tout  d'abord  qu'une  gare, 
petite  et  sale,  encombrée  de  soldats  endormis  sur  le 
sol  et  de  désœuvrés  grignotant  les  graines  de  tour- 
nesol dont  les  Ukrainiens  sont  si  friands,  des  cochers 
enveloppés  dans  de  vastes  manteaux  ouatés,  chaussés 
de  grosses  bottes  de  feutre  et  assis  sur  les  planchet- 
tes de  traîneaux  minuscules  et  fort  bas;  des  mai- 
sons, encore  des  maisons  et  toujours  des  maisons, 
dont  aucune  porte  ne  semblait  vouloir  s'ouvrir  pour 
me  donner  l'hospitalité. 

Kiev  avant  la  guerre,  ne  })ossédait  que  GOO.OOO  ha- 
bitants, mais  depuis  que  Polonais,  Lithuaniens,  Ser- 
bes, Arméniens  et  Roumains,  fuyant  devant  l'armée 
ennemie,  étaient  accourus  en  foule  dans  l'Ukraine 
hospitalière,  la  population  kiévoise  se  chiffrait  par 
plus  d'un  million  et  demi  d'habitants.  D'où  super- 
population et  crise  de  logements. 

Dans  la  rue  depuis  huit  heures  du  matin,  par  un  froid 
de  22°  et  sans  avoir  eu  le  temps  de  ne  rien  me  mettre 
sous  la  dent,  je  trouvai  enfin,  à  neuf  heures  du  soir, 
obligeamment  aidé  par  la  Directrice  du  Foyer  Fran- 


KIEV    AVANT    LA    REVOLUTION 


çais,  un  gîte  pour  moi  et  les  miens  ,  dans  un  hôtel 
tenu  par  une  famille  belge,  au  centre  de  la  ville. 

Grâce  à  l'intervention  de  M.  le  Colonel  P...,  officier 
d'ordonnance  du  Général  Berthelot,  le  Chef  d'Etat- 
Major  du  Général  Rousky  m'avait  accordé,  à  mon 
passage  à  la  frontière  roumano-russe,  une  recomman- 
dation très  chaleureuse  qui  me  permit,  dès  le  lende- 
main de  mon  arrivée  à  Kiev,  d'occuper,  à  l'Université 
féminine,  la  chaire  d'histoire  de  la  littérature  fran- 
çaise, vacante  depuis  le  départ  de  M.  Ch.,  mobilisé,  et, 
au  Gymnase  Alexiev,  celle  de  maître  de  langue  fran- 
çaise. 

Assuré  du  pain  quotidien  pour  moi  et  les  miens,  je 
pus  ouvrir  les  yeux  sur  ce  qui  m'entourait. 


Kiev  avant  la  Révolution 

Deux  faits  me  frappent  tout  d'abord  :  la  liberté 
extraordinairement  grande  accordée  aux  prisonniers 
de  guerre  et  le  respect  presque  exagéré  que  témoi- 
gnent les  soldats  russes  à  leurs  officiers. 

Les  prisonniers  de  guerre,  presque  tous  allemands 
ou  autrichiens,  vont  et  viennent  dans  les  rues  de  la 
ville  sans  aucune  surveillance,  du  moins  apparente. 
Très  travailleurs  et  exerçant  presque  tous  des  profes- 
sions, ils  ont  monté  de  petits  commerces  et  de  petits 


DEUX  ANNi:i;s  i;.N   i  m;  ai  m; 


ateliers  (|iii  leur  loiil  rrîiliscr  de  jolis  Ijriu'ficcs.  «  Cela 
C'sl  j)ictV'ral)k'  à  la  ij;Uorrc  <,  me  dit  un  iiioim-soldat 
qui  veut  i)ic'n  me  ressemeler  une  paire  de  souliers  à 
un  prix  étonnant  par  sa  niodieilé. 

Les  soldats  russes,  très  nombreux  à  Kiev,  puiscpie 
c'est  de  là  que  partent  toutes  les  unités  à  destination 
du  front  roumano-gallicien,  se  montrent  très  profon- 
dément, trop  profondément,  à  mon  avis,  respectueux 
pour  leurs  officiers.  Dès  que  ceux-ci  paraissent,  les 
soldats  s'arrêtent,  se  tournent  face  à  l'endroit  où  l'of- 
ficier va  passer,  frappent  fortement  le  sol  de  leurs 
deux  talons,  portent  une  main  largement  tendue  à 
leur  shapka  et  dans  un  état  de  fixité  et  d'immobilité 
absolues,  attendent  que  l'officier  ait  disparu  dans  le 
lointain. 

Inutile  de  dire  que  la  plupart  du  temps  l'officier  ne 
paraît  pas  s'apercevoir  de  ces  marques  de  respect. 

Dans  les  restaurants,  les  cafés  ou  les  brasseries,  un 
cadet,  c'est-à-dire  un  élève  officier,  doit  aller,  la  main 
dans  le  rang  et  en  claquant  les  talons,  demander  à 
chaque  officier  présent,  la  permission  de  s'asseoir.  Si 
un  officier  entre  dans  ces  mêmes  lieux,  chaque  offi- 
cier se  lève  aussitôt  et  la  salle  résonne  du  timbre  clair 
des  éperons  entrechoqués. 

J'aurais  été  bien  plus  frappé  si  quelqu'un  m'eût 
alors  dit  que  deux  mois  plus  tard  ces  mêmes  soldats, 
non  seulement  ne  salueraient  plus  leurs  officiers, 
mais  porteraient  la  main  sur  eux  et  que  ces  officiers. 


LA    REVOLIFFOX    lUSSK  A    KIEV 


si  fiers  et  si  hautains,  obéiraient  à  leurs  soldats  et  les 
craindraient. 

Et  cependant  il  en  devait  être  ainsi. 


La  Révolution  russe  à  Kiev 

Les  premiers  bruits  d'une  révolution  prochaine 
commencèrent  à  circuler  à  Kiev  dans  les  premiers 
jours  de  février.  Des  personnes  se  disant  et  paraissant 
bien  informées  me  conseillèrent  même  de  ne  pas  sor- 
tir ce  jour-là  car  «  dans  la  rue  il  y  aurait  certaine- 
ment des  émeutes  et  le  sang  ne  manquerait  pas  de 
couler  ». 

La  journée  du  26  février  arriva.  Je  sortis  comme 
d'htibitude  et  ne  vis  aucune  émeute  ;  pas  même  la 
plus  petite  manifestation.  La  Révolution  annoncée 
n'avait  pas  lieu.  Elle  n'était  que  retardée. 

Les  journaux  paraissant  à  Kiev  le  13  mars,  annon- 
cèrent à  la  population  que  le  tsarisme  avait  vécu  et 
que  Nicolas  II  ayant  abdiqué,  la  Russie  entrait  dans 
une  ère  nouvelle.  Ce  fut  comme  un  coup  de  foudre. 
S'arrachant  les  journaux,  les  passants  dévoraient  la 
nouvelle  et  se  jetaient  dans  les  bras  les  uns  des  autres; 
ils  s'embrassaient,  riant  et  pleurant  tout  à  la  fois. 

A  voir  les  rues  de  Kiev,  ce  jour-là,  personne  ne  se 
serait  douté  que  l'Empire  Russe  venait  de  subir  la 


Di;i   X    AN.\i;i  s    IN    t   KMAINE 


plus  épouvantable  calastrophi'  euregistrée  par  l'His- 
toire et  (jue  le  colosse  septentrional  allait  être  réduit 
en  quckjues  semaines  à  une  sorte  de  néant. 

Des  rassemblements  se  fonnenl,  des  cortèges  se 
mettent  à  défiler  aux  accents  de  la  Marseilldisr,  dans 
la  rue  Krechlchatik.Toutc  la  ville  est  en  liesse. A  toutes 
les  fenêtres,  sur  tous  les  édifices,  des  drapeaux  rouges 
apparaissent  sortant  on  ne  sait  d'où;  de  place  en 
place,  en  travers  des  rues,  de  larges  banderoles  sont 
tendues  portant  des  inscriptions  variées  mais  dont  les 
plus  fréquentes  sont  :  Vive  la  Révolution,  vive  la  Li- 
berté. 

Les  établissements  scolaires  étant  fermés,  j'eus 
toute  la  journée  pour  jouir  du  spectacle  qu'offrait  la 
ville;  j'en  profitai  largement  et  petit-fils  de  la  Révo- 
lution de  1789,  je  restai  à  la  fois,  surpris  et  émerveillé 
de  voir  cette  foule,  hier  soumise  au  plus  avilissant 
des  jougs,  passer  tout  d'un  coup  à  la  plus  entière  des 
libertés,  sans  un  cri  de  haine,  sans  un  acte  vengeur. 

Quatre  jours  après,  la  vie  reprenait  son  cours,  et  il 
semblait  que  rien  n'était  changé.  Les  ouvriers  se  ren- 
daient aux  usines  de  guerre  comme  par  le  passé  et  les 
soldats  partaient  au  front  avec  le  même  enthousiasme 
que  la  semaine  précédente.  A  Petrograd,  le  prince 
Lvof,  M.  Milioukof  et  leurs  amis  mettaient  sur  pied  le 
gouvernement  libéral  qui  devait  durer  trois  mois. 


LE  MOLVËiMENT  NATIONALISTE 


Le  mouvement  nationaliste  ukrainien 

A^  Kiev  et  dans  toute  l'Ulvraine,  un  mouvement  na- 
tionalisl£_-&!i5feiU€v  Un  peu  factice  et  hésitant,  àlToH- 
gin^  il  acquiert  bientôt  une  puissance  irrésistible  que 
ses  adversaires  les  plus  acharnés  ne  sauraient  ni  ar- 
rêter ni  empêcher  d'aboutir. 

Des  organisations  sociales  se  mettent  en  devoir  de 
formuler  leurs  programmes  et  leurs  désirs  politiques 
qu'elles  adressent  au  Gouvernement  provisoire.  Des 
délégués  des  organisations  déjà  existantes,  dans  le  but 
de  coordonner  leur  travail  en  faveur  des  intérêts  na- 
tionaux, forment  dans  les  villes  des  conseils  natio- 
naux ukrainiens.  Un  Conseil  suprême,  constitué 
d'après  l'ancien  Concilhim  générale  du  temps  de  l'het- 
manat,  est  organisé  à  Kiev,  sous  le  nom  de  Rada  cen- 
trale. Ce  Parlement  comprenait  800  membres,  repré- 
sentants de  tous  les  partis  politiques  du  pays  sans 
distinction  de  nationalités  :  Social-démocrates,  socia- 
listes révolutionnaires,  socialistes  fédéralistes,  indé- 
pendantistes, Bund  juif,  socialistes  russes  et  polo- 
nais. Son  programme  est  la  défense  des  conquêtes  de 
la  Révolution  (libertés  nationales,  terre  aux  paysans) 
contre  les  ennemis  du  dedans  (bolcheviks  et  tsaristes) 
et  du  dehors  (Allemands).  Elle  a  contre  elle  tous  les 
partis    bourgeois    et    aristocrates    (propriétaires    fon- 


I)i;i    ,\    ANMIS    i;.\     IKKMM-: 


cicrs,  Inhiiciinls  de  sucre,  l'om  lionnaii  es,  (ii;iii(ls-l>  lis- 
ses, Polonais  cl  .liiils). 

Enfin,  un  _i  rand  (lonj^rcs  nalional  s'asscnihlc  à  Kiev 
cl.  dans  ses  résolutions,  donne;  la  formule  fondanim- 
tale  des  j)rinci()cs  j)olili(iues  des  Ukrainiens. 

Ces  j)iincipes,  admis  })ar  la  plupart  des  i)arlis  j)oli- 
tiques,  peuvent  se  résumer  ainsi  : 

(laranlie  des  droits  nationaux  des  minorités  hal)i- 
tant  l'Ukraine. 

Droit  pour  rAssemblée  Constituante  russe  de  sanc- 
tionner la  Constitution  autonome  de  l'Ukraine. 

Droit  pour  les  organes  du  gouvernement  autonome 
de  résoudre  les  problèmes  économiques,  sociaux  et 
surtout  agraires  du  peuple  ukrainien. 

En  attendant  la  réalisation  de  leur  autonomie,  les 
Ukrainiens  exigeaient  : 

La   reconnaissance  des  droits    de   la    langue   ukrai- 
nienne à  un  usage  libre  dans  les  institutions  sociales 
et  administratives  du  pays; 
/  La  nomination  aux  emplois  administratifs  de  per- 

sonnes connaissant  les  mœurs  et  les  coutumes  du  pays 
et  familières  avec  la  langue  du  peuple  ukrainien; 
1         L'introduction  de  la  langue  ukrainienne  dans  l'en- 
j     seignement  primaire  et  une  ukrainisation  progressive 
I       des  écoles  secondaires  et  supérieures  dans  les  gouver- 
I        nements  ukrainiens. 

V 


LA    HADA    HT    LI-:   r.Ol'A'KHXKMKNT    PUOViSOIR!-:  9 

Démêlés  de  la  Rada  avec  le  Gouvernement 
provisoire 

Nommée  en  avril,  la  Rada  choisit  en  juin  des  minis- 
tres, qui  sous  le  nom  de  commissaires  généraux,  doi- 
vent gouverner  l'Ukraine  jusqu'à  la  réunion  de  la 
Constituante  ukrainienne  dont  les  élections  se  feront 
en  décembre  1917,  et  envoie  à  Petrograd  une  députa- 
tion  dans  le  but  d'obtenir  l'autonomie  immédiate  des 
douze  gouvernements  qui  constituent  l'Ukraine. 

La  réponse  dilatoire  du  Gouvernement  provisoire, 
ses  soupçons  injurieux  et  le  refus  de  Kerensky,  Minis- 
tre de  la  Guerre,  d'autoriser  un  Congrès  militaire 
ukrainien,  exaspéra  le  sentiment  national.  Le  Con- 
grès eut  quand  même  lieu  à  Kiev,  le  <S  juin  1917,  et 
réunit  plus  de  2.000  délégués  des  soldats. 

Ce  fut  un  beau  jour  pour  la  nouvelle  capitale, 

Dès  le  matin,  de  grands  rassemblements  se  for- 
ment en  différents  i)oints  de  la  ville  et  se  concentrent 
dans  le  Kretchtchatik,  la  plus  belle  rue  de  Kiev,  où 
ils  défilent  en  un  immense  cortège.  A  midi,  aux  ac- 
cents de  la  Marseillaise,  et  aux  applaudissements 
frénétiques  d'une  foule  enthousiaste,  le  drapeau  rouge 
de  la  Révolution  qui  ilottait  sur  la  Douma  municipale 
est  amené  et  remplacé  par  le  drapeau  jaune  et  bleu 
de  l'Ukraine.  Une  manifestation  assez  tumultueuse 
se  déroule  ensuite  au  pied  du  monument  de  Hogdan 
Khmielnitski. 


10  Di;ix  anm':i:s  i;\   ikhaim; 


Le  lendemain  19,  la  Rada  centrale  publia,  sous  le 
nom  d'Univcrsal,  sa  première  proclamation  où  étaient 
formulés  les  droits  du  i)cuj)lt'  uUiaiiiicn.  Le  Ciouver- 
nement  provisoire  prit  peur  et  adressa  à  l'Ukraine  un 
appel  qui  amena  une  sorte  de  trêve,  devenue  néces- 
saire d'ailleurs  par  les  préparatifs  de  l'ofTensive  qui 
va  se  déclancher  quelques  semaines  plus  tard,  sur  le 
front  de  la  Galicie. 


Visites  de  Français  à  Kiev 

C'est  alors  que  Kiev  reçut  la  Aisite  d'Albert  Thomas 
et  de  Kerensky. 

Tous  deux  avaient  entrepris  de  visiter  tout  le  front 
russe  et  en  particulier  le  front  gallicien,  pour  y  rele- 
ver les  courages  défaillants  et  enthousiasmer  les  trou- 
pes pour  l'offensive  qui,  de  l'avis  de  tous,  devait 
donner  le  coup  de  grâce  à  l'adversaire  et  amener  la 
paix  à  brève  échéance. 

Albert  Thomas  assista  à  plusieurs  meetings  pen- 
dant son  court  séjour  à  Kiev  et  au  Club  des  Commer- 
çants où  une  réunion  monstre  avait  été  organisée,  il 
se  fit  traiter  d'impérialiste  par  les  camarades  socia- 
listes auxquels  il  sut  d'ailleurs  répondre  avec  son 
esprit  coutumier. 

Aux   Français   qui    lui    furent   présentés   dans   les 


VISITES     DE    FRANÇAIS    A     KIEV  11 

salons  du  Consulat,  il  affirma  la  confiance  du  peuple 
français  dans  la  victoire  finale,  et  les  chargea  de 
remercier  toute  la  colonie  française  pour  le  bon  com- 
bat qu'elle  soutenait  loin  de  la  patrie. 

Kérensky  prononça,  lui  aussi,plusieurs  discours  qui 
furent  vivement  applaudis;  mais  il  était  bien  tard 
pour  lancer  à  une  offensive  victorieuse  des  soldats  qui 
avaient  perdu  toute  discipline  et  tout  respect  pour  les 
officiers. 

Presque  en  même  temps  que  M.  Albert  Thomas,  la 
colonie  française  de  Kiev  eut  à  fêter  la  mission  sani- 
taire qui  arrivait  directement  de  France,  avec  un  per- 
sonnel et  un  matériel  des  plus  importants.  Elle  y 
venait  installer  deux  hôpitaux  pour  le  soulagement 
et  la  guérison  des  blessés  et  des  malades  russes  et 
prouver  au  monde  médical  de  Kiev  que  la  médecine 
et  la  chirurgie  françaises  ne  le  cédaient  en  rien  à  la 
chirurgie  et  à  la  médecine  allemandes. 

Elle  reçut  partout  le  meilleur  accueil  et  les  salons 
kiévois,  ukrainiens,  russes,  polonais  ou  Israélites,  se 
disputent  à  l'envi  l'honneur  de  posséder  les  médecins 
et  les  officiers  français. 

Quelques  semaines  plus  tard,  arrivait  également  à 
Kiev,  M.  Jean  Pélissier,  le  seul  Français  au  courant 
depuis  longtemps  de  la  question  ukrainienne  et  jouis- 
sant dans  tous  les  milieux  ukrainiens  de  la  plus  vive 
sympathie.  L'ambassadeur  de  France  en  Russie,  M. 
Noulens,  avait  l'heureuse  idée  de  l'envoyer  se  docu- 


12  i)i;rx  AN.\i'.i:.s  i;n   i  kiî\i.\h 

nunltr  sur  |)l;iic  sur  la  vraie  iialurc  du  iiiuuvLriicnt 
ukrainien  el  s'assurer  (|u'il  axait  hieii  le  caraclrrc  dé- 
in()crali([uc  airirnié  j)ar  ses  promoleuis. 

Il  faudrait  des  j)ages  entières  pour  parler  de  l'acli- 
vilé  dépensée  par  M.  Jean  Pélissier  duranl  son  séjour 
en  Ukraine.  Qu'il  suf'iisc  de  dire  (jue  l'envoyé 
officiel  de  M.  Xoulens  fut  le  premier  français  (|ui 
visita  la  Rada  et  le  Secrétariat  généra!  et  de  regretter, 
comme  le  regrettent  prcs(pie  tous  les  Français  rési- 
dant à  Iviev,  (pie  la  voix  de  M.  Pélissier  n'ait  pas  été 
écoutée  dans  les  si)lières  à  même  d'agir  à  ce  moment- 
là.  L'histoire  dira  plus  tard  quels  désastres  auraient 
été  évités  à  l'Ukraine  et  quel  beau  ileuron  la  France 
aurait  attaché  à  sa  couronne,  si  aux  longs  rapports 
de  quelques  incompétences  galonnées,  on  avait  préféré 
les  notes  plus  succinctes,  mais  ])lus  fondées,  de  M, 
Jean  Pélissier. 

Cet  afflux  de  Français  arrivant  de  France  donna 
une  nouvelle  impulsion  aux  Sociétés  de  propagande 
française  de  Kiev. 

La  plus  importante,  l'Alliance  Française,  en  som- 
meil dej)uis  la  mobilisation  de  presque  tous  ses  diri- 
geants, sentit  le  besoin  de  nommer  un  nouveau  Comité 
dont  l'intelligente  activité  devait  avoir  de  si  heureux 
résultats.  Des  conférences  avec  projections  sont  aussi- 
tôt organisées  à  l'Université  Saint-Vladimir,  dans  le 
but  de  faire  connaître  à  tous  l'héroïsme  des  soldats 
français   sur   le   front,   le   courage   des   femmes    fran- 


l'offensive    de    GALICIE  13 

çaises  dans  les  hôpitaux,  l'effort  de  toute  la  France 
à  l'arrière.  Ces  conférences  et  les  représentations  théâ- 
trales qui  mettaient  à  contribution  toutes  les  bonnes 
volontés  et  tous  les  talents  des  membres  de  la  colonie 
française,  réunirent,  chaque  quinzaine,  plusieurs 
milliers  d'Ukrainiens,  de  Russes,  de  Polonais  et  d'Is- 
raélites, heureux  de  voir  de  })lus  près  ces  Français 
que  les  agents  allemands  représentaient  comme  abat- 
tus et  désespérés  et  d'entendre  une  langue  dont 
l'harmonie  est  encore  trop  peu  connue  à  Kiev. 


L'offensive  de  Galicie 

Tout  à  coup,  les  premiers  échos  d'une  vaste  otl'en- 
sive  entreprise  en  Galicie  arrivent,  en  même  temps 
que  les  premiers  blessés.  Tout  le  monde  en  suit  avec 
le  plus  vif  intérêt  les  diverses  phases,  car  on  espère, 
cette  fois,  que  la  victoire  amènera  la  paix  des  alliés. 
D'ailleurs,  elle  se  présente  sous  les  plus  brillants  aus- 
pices :  Halitch  est  prise,  les  prisonniers  arrivent  en 
nombre  imposant  ;  les  armées  austro-allemandes 
semblent  démoralisées  par  la  brusquerie  de  l'attaque. 
L'espoir  renaît  dans  tous   les  cœurs. 

Hélas!  ce  ne  devait  pas  être  pour  longtemps.  L'en- 
nemi se  ressaisit,  et  attaque  à  son  tour.  Halitch  est 
reprise,  la  débandade  se  met  dans  les  troupes  russes. 


14  i)\A\  ANM-KS  i:n  I  k  haï  ni-: 

C'est  bientôt  la  panique  sur  tout  le  front  :  fantassins, 
artilleurs,  soldats  de  toutes  armes  se  sauvent  on  un 
affreux  désordre,  abandonnant  tout  le  matériel  à  l'en- 
nemi qui  avance  avec  une  rapidité  vertigineuse,  l'arme 
à  la  bretelle,  à  travers  toute  la  Galicie. 

A  Kiev,  il  y  eut  un  moment  d'angoisse  :  les  Alle- 
mands viendraient-ils  jusque-là?  La  Galicie  recon- 
quise, un  immense  butin  de  guerre,  la  ruine  de  l'ar- 
mée russe  assuraient  à  l'ennemi  un  triomphe  suffi- 
sant. Il  se  stabilise  à  la  frontière  orientale  de  la  Gali- 
cie cl  y  creuse  ses  tranchées. 

On  comprit  alors  le  mal  irréparable  causé  au  pays 
par  la  Révolution,  des  ministres  incapables,  la  dicta- 
ture de  la  parole  exercée  par  Kerensky,  Une  première 
vague  maximaliste  faillit  tout  emporter;  Kornilov, 
dans  sa  tentative  de  mouvement  militaire,  échoue  et 
se  trouve  à  peu  près  seul. 


Reprise  des  pourparlers  entre  Kiev  et 
Pétrograd 

Le  Gouvernement  provisoire  sentit  alors  le  besoin 
de  ne  pas  s'aliéner  tout  à  fait  l'Ukraine.  Trois  de  ses 
membres  :  Kerensky,  Tseretelli  et  Terechtenko 
viennent  à  Kiev  avec  mission  de  prendre  contact 
avec  la  Rada  et  signer  un  arrangement  à  l'amiable. 


POURPARLERS    ENTRE    KIEV    ET    PÉTROGRAD  15 

Les  deux  partis  arrivent  à  un  accord  enregistré  dans 
un  Second  Universal,  maïs  non  ratifié  par  le  Parle- 
ment de  Petrograd  qui  trouve  trop  grandes  les  con- 
cessions accordées  aux  Ukrainiens  par  ses  délégués. 
Les  Cadets  donnent  en  bloc  leur  démission. 

A  Kiev,  l'on  est  très  loin  d'être  satisfait  et  l'irrita- 
tion contre  les  Grands  Russiens  est  si  \ive  que  les 
fusils  partent  tout  seuls.  A  la  gare,  une  échauffourée 
sanglante  a  lieu  entre  les  soldats  du  régiment  ukrai- 
nien Bogdan-Kmielnitski  et  un  escadron  de  cuiras- 
siers russes. 

Une  délégation  de  la  Rada  présidée  par  Vinnitchen- 
ko  se  rendit  alors  à  Petrograd  pour  faire  ratifier  offi- 
ciellement l'accord  conclu  à  Kiev.  Kerensky  commit  la 
maladresse  de  faire  traîner  les  choses  en  longueur  au 
lieu  de  tenir  rigoureusement  ses  promesses.  Aussi 
l'Instruction  du  18  août,  qui  devait  mettre  fin  au  con- 
flit, ne  fait  que  redoubler  le  mécontentement  des 
Ukrainiens. 


DKliX    ANNlilvS    ES    (   KMAINK 


Le  Coup  d  État  des  Bolcheviks 

Les  clioses  en  éhiicnt  là  (jiuiikI  les  maximalish-s 
renvcrsoreni,  le  7  n(»veml)re,  la  Kc'piihliciiU'  soeialisle 
et  naiionale  de  Kereiisky  avee  la  même  tacililé  que 
la  Hé\()luti()n  libérale  a\ail  l)a!ayé,  le  12  inar^,  l'auto- 
crate Nicolas  IL 

Simple  rapprochement  :  Le  T)  novembre,  deux 
Jours  avant  le  coup  d'Etat  de  Petrograd,  l'Autriche, 
par  l'intermédiaire  de  la  Russie,  proposait  aux  Alliés 
d'entamer  des  pourj)arlers  de  paix.  Ce  pouvait  être  la 
fin  de  la  guerre  à  brève  échéance.  Les  Bolcheviks  pre- 
naient donc  le  pouvoir,  la  veille  du  jour  où  l'Autriche 
allait  abandonner  son  alliée  et  sa  complice. 

Qu'est-ce  donc  que  ces  Bolcheviks  tout  d'abord 
connus  sous  le  nom  de  maximalistes  ? 

A  l'origine,  une  vulgaire  bande  de  voleurs,  qui,  au 
début  de  la  Révolution  russe,  avaient  chassé 
Mathilde  Kchessinska  de  son  palais,  l'avaient  pillée 
et  dépouillée,  s'étaient  installés  chez  elle,  puis  avaient 
donné,  dans  la  demeure  de  la  célèbre  ballerine,  des 
concerts  pour  le  peuple. 

Depuis,  ils  avaient  fait  leur  chemin. 

Payés  par  l'Allemagne,  excitant  les  appétits  du 
j)eu})le,  favorisant  ses  plus  bas  instincts,  ils  avaient 
formé  le  parti  bolcheviste  —  du  mot  russe  bolchoi 
«  plus  grand    >  —  qui  s'emparait  du  pouxoir  le  5  no- 


COUP  d'état  des  bolcheviks  17 

venibre.  Ce  parti  enseignait  la  haine  des  «  bour- 
jouis  »,  de  la  classe  intellectuelle.  Il  promettait  le 
partage  des  terres  et  en  général  de  toutes  les  pro- 
priétés, en  parties  égales,  chacun  devant  cultiver  soi- 
même.  Il  défendait  d'employer  un  salarié.  Si  un  pau- 
vre vieux,  ou  un  malade  ne  peut  travailler,  il  doit 
céder  sa  part  à  d'autres.  Au  bout  de  deux  ans,  un 
locataire  d'un  appartement  en  devient  propriétaire. 
Les  dépôts  des  banques  sont  saisis  et  partagés. 

Que  de  merveilleuses  promesses!  Mais  la  plus  belle 
de  toutes,  la  plus  désirée,  est  celle  d'une  paix  pro- 
chaine. 

Il  semble  donc  qu'avec  le  régime  bolcheviste,  le  bon- 
heur va  rayonner  sur  toute  la  Russie. 

Hélas!  A  Petrograd,  le  Palais  d'Hiver  est  bombardé, 
luiis  pillé  par  les  matelots,  les  femmes-soldats  sont 
jetées  en  cellule,  les  ministres,  frappés  à  coups  de 
crosse,  les  officiers  assassinés.  Beaucoup  de  per- 
sonnes folles  de  terreur  se  jettent  dans  la  Neva  ou  y 
sont  précipitées.  Kerensky  s'enfuit. 

A  Moscou,  c'est  la  lutte  acharnée,  chaque  maison 
est  une  forteresse,  la  guerre  des  rues  est  terrible;  l'ar- 
tillerie s'en  mêle,  l'incomparable  Kremlin  n'est  pas 
épargné.  Beaucoup  de  morts,  de  part  et  d'autre,  mais, 
comme  Petrograd,  Moscou  passe  aux  mains  de  Lénine. 

Odessa  voit  se  dérouler  des  scènes  elfrayantcs.  l^ne 
usine  d'nlcool  est  pillée,  une  importante  cave    mise  à 

3 


18  iJEi  X  anm';i;s  j;n  lkhainj: 


sac.    L'ivresse    rend    réincule    plus    horrible    encore. 
Odessa  voit  se  renouveler  les  noyades  de  Nantes. 

A  Kiev,  l'on  craint  des  troubles;  mais  les  Cadets 
placent  dans  les  rues  des  canons  et  des  mitrailleuses  : 
sauf  quelques  coups  de  feu  et  quelques  victimes,  la 
ville  reste  calme  le  premier  jour. 


Emeute  sanglante  à  Kiev 

Le  lendemain  8  novembre,  Kiev  entend  le  premier 
coup  de  canon. 

Les  Cosaques  avaient  jusque-là  maintenu  les  Bol- 
cheviks russes  de  Kiev  dans  un  certain  respect  de 
l'ordre  établi,  mais  ils  se  voient  obligés  de  descendre 
vers  le  Don  et  les  Ukrainiens  restent  incertains  sur  la 
conduite  à  tenir.  Aussi  les  Bolcheviks  en  profitent 
pour  s'emparer,  dans  la  nuit,  de  l'arsenal  d'où 
ils  se  mettent  à  mitrailler  le  quartier  de  Lipky. 
Maîtres  de  la  forteresse  dans  l'après-midi,  ils  bom- 
bardent la  maison  du  Gouverneur  russe  dans  laquelle 
est  installé  l'hôpital  français  dont  les  blessés  doivent 
être  évacués  sous  la  mitraille. 

La  révolte  est  dirigée  contre  les  représentants  du 
gouvernement  de  Kerensky  qui  se  sont  jusqu'à  ce 
jour  maintenus  à  Kiev;  aussi  les  troupes  qu'on  lui 
oppose  sont  des  Yunkers,  jeunes  élèves  officiers  de  16 


EMEUTE    SANGLANTE   A    KIEV  19 

à  18  ans,  et  quelques  bataillons  fidèles  au  Gouverne- 
ment provisoire. 

Pendant  trois  jours,  l'on  se  bat  ferme  et  sauvage- 
ment; les  balles  retournées  et  les  dum-dum  sont  cou- 
ramment employées.  Les  petits  Cadets  faits  prison- 
niers sont  impitoyablement  fusillés. 

Cependant  les  troupes  tchèques  envoj'ées  du  front 
approchent  et  les  Bolcheviks  sentant  la  partie  compro- 
mise, acceptent  l'intervention  des  Ukrainiens  qui  sont 
jusque-là  restés  neutres  et  se  sont  contentés  d'assurer 
la  sécurité  de  la  population  paisible.  Ceux-ci  proposent 
aux  combattants  de  cesser  la  lutte  et  d'évacuer  la  ville. 
Eux  se  chargent  de  l'ordre  :  la  police  russe  est  immé- 
diatement remplacée  par  une  milice  ukrainienne.  Le 
gouvernement  de  Kerensky  est  peu  satisfait  de 
cette  intervention,  il  donne  l'ordre  aux  Junkers  d'atta- 
quer les  troupes  ukrainiennes  qui  les  repoussent,  et 
s'emparent  de  l'arsenal  et  de  toutes  les  administra- 
tions. Les  Tchèques  qui  sont  arrivés  à  Kiev  reçoivent 
à  leur  tour  l'ordre  d'attaquer  les  Ukrainiens  qu'on 
leur  représente  comme  Bolcheviks.  Une  lutte  s'engage 
mais  comprenant  bientôt  qu'on  les  a  trompés,  ils  refu- 
sent de  se  battre  plus  longtemps,  déclarant  que  parti- 
sans du  principe  des  nationalités,  ils  veulent  rester 
neutres  dans  les  affaires  intérieures  de  la  Russie. 
L'état-major  de  Kerensky  qui  n'avait  pas  d'autres  trou- 
pes se  rend  aux  Ukrainiens.  Le  17,  le  calme  renaît, 
la  vie  reprend  son  cours.  Les  cocardes  jaunes  et  bleues 


20  1)1  I  X  anm';i;s  kn  ukhaink 

triomphent  à  Kiev,  rc'cusson  de  S;iinl-(l:il)ricl  vient  de 
remporter  sa  ])rc'mi('ic'  victoire. 

Cette  victoire  soulève  au  front  sud-ouest  un  ;^rand 
enthousiasme.  Deux  armées  envoient  leurs  félicita- 
tions et  leur  appui  à  l'Ukraine. 


Proclamation  de  la  République  ukrainienne 

De  même  que  le  prince  Lvov,  en  prenant  en  mains 
les  rênes  du  Gouvernement  de  Petrograd,  avait 
décrété,  un  peu  imprudemment  peut-être,  le  principe 
d'auto-dêtermination  qui  avait  permis  à  la  Finlande, 
la  Pologne,  l'Ukraine  et  à  quelques  autres  Etats  «  allo- 
gènes »  de  déclarer  leur  indépendance  ou  leur  auto- 
nomie, le  Gouvernement  des  Soviets  s'empressa,  dans 
sa  Déclaration  des  Droits  des  peuples  de  Russie,  du 
15  novembre  1917,  de  reconnaître  sans  restriction  le 
droit  des  nationalités  à  disposer  d'elles-mêmes  et  mê- 
me à  se  détacher  entièrement  de  la  Russie. 

Aussi  la  Rada  centrale  de  Kiev,  ne  voulant  à  aucun 
prix  reconnaître  le  gouvernement  des  So\'iets  qui 
vient  de  s'instaurer  à  Petrograde,  proclame,  le  20  no- 
vembre, au  milieu  de  l'enthousiasme  indicible  de  toute 
la  population,  dans  le  troisième  Universal,  la  Répu- 
blique ukrainienne  fédérative.  Le  Secrétariat  général 
engage  des  pourparlers  avec  les  gouvernements  qui  se 


L'UKRAINE  VKUT   RESTER   FIDÈLE  A    l'eNTENTE  21 


sont  créés  dans  les  nouveaux  Etats  érigés  sur  les  rui- 
nes de  l'Empire  russe  (Don,  Kouban,  Géorgie  et  Sibé- 
rie) afin  de  les  amener  à  une  fédération.  Mais  le  man- 
que de  communications  et  le  désir  de  plus  en  plus 
prononcé  dans  l'armée  de  se  séparer  complètement 
de  la  Russie,  oblige  la  Rada  à  renoncer  à  son  projet  et 
à  envisager  l'indépendance  qui  sera  déclarée  le  9  jan- 
vier 1918  par  le  quatrième  Universal. 


L'Ukraine  veut  rester  fidèle  à  l'Entente 

Tout  le  monde  espère  que  l'Ukraine  va  pouvoir 
enfin  se  livrer  en  toute  tranquillité  aux  deux  missions 
qui  lui  incombent  :  travailler  à  l'organisation  de  son 
Etat  et  soutenir  le  front  du  Sud-Ouest,  ainsi  qu'elle  le 
fait  depuis  la  dernière  ofTensive  allemande  du  mois 
de  juillet. 

Il  n'en  devait  rien  être. 

Dès  le  début  de  décembre,  la  France  et  l'Angleterre 
envoient  leurs  représentants  près  du  Gouvernement 
de  la  nouvelle  République,  et  peu  après  s'engagent 
des  pourparlers  d'abord  officieux,  puis  officiels.  Dési- 
reux de  contrecarrer  les  pourparlers  de  paix  qui 
venaient  de  commencer  à  Rrest-Litovsk  entre  les 
Austro-Allemands  et  les  Maximalistes,  le  général  Ta- 


22  DKiix  ANNi%i:s  i:n  ukuaink 


bouis,  ancien  attaché  à  l'Etal-Major  russe  du  front 
Sud-Ouest,  réceninient  nommé  commissaire  de  la 
République  l'rançaise  en  Ukraine,  fait  des  avances  au 
Secrétariat  général  ukrainien. 

La  capitale  ukrainienne  organise  une  jolie  manifes- 
tation en  l'honneui-  des  missions  militaires  françaises 
et  anglaises  que  les  pourparlers  russo-allemands  ont 
obligées  de  quitter  le  front  et  (jui  viennent  à  Kiev 
demander  au  gouvernement  de  Vinnitchenko  de  con- 
tinuer la  guerre  contre  les  puissances  centrales.  Les 
troupes  ukrainiennes  et  le  gouvernement  les  reçoivent 
ofliciellement. 

Quelques  jours  après,  la  Rada  centrale  de  Kiev 
publie  un  manifeste,  constatant  que  depuis  un  mois 
qu'il  est  au  pouvoir,  le  gouvernement  des  Soviets  s'est 
montré  incapable  de  gouverner,  qu'il  a  amené  partout 
la  désorganisation,  l'anarchie  et  la  désagrégation  du 
front;  qu'enfin  lâchement  il  vient  de  signer  l'armis- 
tice. L'Ukraine  se  refuse  à  une  telle  lâcheté  et  à  une 
telle  traîtrise  envers  les  Alliés. 

En  même  temps,  MM.  Petlioura  et  Vinnitchenko 
déclarent  à  M.  Pélissier,  l'envoyé  officiel  de  M.  Nou- 
lens  à  Kiev,  que  les  régiments  ukrainiens  combattront 
jusqu'au  bout  aux  côtés  des  AlUés,  mais  que  vu  la 
décomposition  croissante  de  l'Etat  russe,  il  y  aurait 
nécessité  pour  les  Alliés  d'aider  l'Ukraine  à  s'organi- 
ser en  Etat  indépendant  avec  une  armée  nationale 
pour  continuer  la  guerre  contre  l'Allemagne  et  empè- 


l'ukraine  veut  rester  fidèle  a  l'entente        23 

cher  l'anarchie  de  s'étendre.  Ces  déclarations  furent 
publiées,  à  cette  époque,  en  France,  dans  Vlnforma- 
tion,  en  Russie,  dans  le  Journal  de  Petrograd.  A  l'his- 
toire de  dire  pourquoi  l'Entente  ne  crut  pas  devoir 
seconder  ces  bonnes  volontés. 

Toujours  à  la  même  époque,  le  général  Tabouis, 
ayant  réuni  au  Consulat  français  les  membres  de  la 
colonie  française,  donne  l'assurance  aux  timorés  que 
si  les  Allemands  ou  les  Bolchevistes  n'arrivent  pas  à 
Kiev  avant  un  mois,  le  front  ukrainien  défiera  tous 
les  coups  qui  pourront  lui  être  portés,  que  les  soldats 
ukrainiens  sont  admirables  de  bravoure  et  de  patrio- 
tisme. 

Malheureusement,  deux  tendances  commencent  à 
se  manifester  au  sein  du  secrétariat  général. 

Quelques  secrétaires,  bien  qu'ententistes,  estiment 
impossible  pour  l'Ukraine  de  continuer  la  guerre 
contre  les  Empires  centraux.  Les  Bolcheviks  ont  en 
effet  désorganisé  l'armée  qui  déserte  le  front,  brûlant 
et  pillant  tout  sur  son  passage,  et  l'Ukraine  n'a  pas 
l'armée  nationale  que  ses  représentants  ne  cessent  de 
demander,  le  regroupement  des  forces  ukrainiennes 
sur  lie  territoire  de  l'Ukraine  n'ayant  jamais  été  admis 
par  le  Grand  Quartier  Général  Russe,  ni  par  le  Gou- 
vernement de  Petrograd.  M.  Vinnitchenko  demande 
alors  aux  Alliés  d'aider  l'Ukraine  à  se  mettre  à  l'abri 
de  l'invasion  étrangère,  à  se  défendre  contre  les  Bol- 
cheviks   et    à    organiser     son     armée    nationale.     Il 


24  i)i:t  \  ANNKi-s  i:n  i  kumm: 


manifeste  en  même  temps  le  désir  de  voir  reconnaître 
par  l'Entente  le  Secrétariat  général  comme  gouverne- 
ment actuel  de  l'Ukraine, 

M.  Galip,  membre  inlluenl  du  parti  Jeune  l'kr<tinien 
et  à  ce  moment-là  directeur  des  Affaires  politiques 
au  Secrétariat  des  Affaires  Etrangères,  dépense  une 
activité  fébrile  pour  aboutir  entre  l'Enlente,  et  sur- 
tout la  France  et  l'Ukraine,  à  un  accord  qui  permet- 
trait à  cette  dernière  de  continuer  la  guerre  malgré 
les  obstacles  qui  surgissent  de  toutes  parts. 

M.  Petlioura,  secrétaire  de  la  guerre,  appuyé  par  le 
groupe  Jeu  ne -Ukrainien,  auquel  sont  affiliés  tous 
les  officiers  de  l'Etat-Major  du  Secrétaire  de  la  Guerre, 
le  Commandant  des  troupes  de  Kiev  et  son  Etat- 
Major,  se  déclare  prêt  à  continuer  jusqu'au  bout  la 
lutte  contre  l'Allemagne,  non  avec  les  troupes  du  front 
qui  sont  en  pleine  dissolution,  mais  avec  une  armée 
de  500.000  francs-cosaques,  qui  pourrait  être  recru- 
tée parmi  les  paysans  désireux  de  défendre  leurs 
terres. 

Pour  montrer  sa  bonne  volonté  à  l'égard  des  puis- 
sances de  l'Entente,  il  refuse  de  reconnaître  Krylenko 
comme  généralissime  de  l'armée  russo-ukrainienne, 
en  remplacement  du  généralissime  russe  Doukhonine, 
assasiné  à  la  Stavka  de  Mogilev  par  les  Bolcheviks; 
il  proclame  front  ukrainien  le  front  qui  s'étend  de 
Brest-Litovsk  à  la  frontière  roumaine  et  en  confie  la 
défense  au   général   Cherbatchef,   jusqu'alors   général 


ULTIMATUM    DES    SOVIETS    RUSSES  25 


en  chef  du  front  sud-ouest  et  signe  l'ordre  de  désar- 
mement général  des  Bolcheviks  à  Kiev  et  sur  tout  le 
territoire  de  l'Ukraine. 

C'était  le  signal  de  la  guerre  entre  l'Ukraine  et  les 
Bolcheviks,  cette  affreuse  guerre  qui  n'est  pas  encore 
terminée  à  l'heure  actuelle. 


Ultimatum  du  gouvernement  des 
Soviets  russes 

Pour  commencer  ses  opérations  contre  la  nouvelle 
République,  le  Gouvernement  des  Soviets  n'attendait 
qu'une  occasion.  Il  la  trouve  dans  une  dépêche  chiffrée 
du  Gouvernement  français  qu'il  intercepte  et  publie 
dans  les  journaux  de  Petrograd. 

Sous  prétexte  que  le  Gouvernement  ukrainien  a 
entamé  des  pourparlers  secrets  avec  les  Alliés  et 
notamment  avec  la  mission  française  dans  l'intention 
de  «  saboter  la  cause  de  la  paix  »  et  d'empêcher 
celle-ci  d'aboutir  immédiatement,  il  lui  envoie  un 
ultimatum  et  commence  aussitôt  l'attaque  contre  l'U- 
kraine en  faisant  «  donner  »  les  Bolcheviks  russes  qui 
se  trouvaient  à  Kiev,  en  attendant  que  les  troupes 
régulières  franchissent  la  frontière. 

Prise  entre  deux  feux,  celui  des  Austro-Allemands  à 
l'ouest,  et  celui  des  Maximalistes  à  l'est,  la  Rada  cen- 


2(>  DKL'X  ANNi':i;s  i;n  lkh.mnk 


traie,  qui  a  cependant  déclaré  qu'elle  restera  fidèle  à 
l'Enlente,  nomme  des  délégués  qu'elle  envoie  à  Brest- 
Lilovsk,  refuser  à  la  délégation  maximal iste  de  Petro- 
grad  le  droit  de  parler  au  nom  de  l'Ukraine  et  ouvrir 
des  pourparlers  en  vue  de  la  paix. 

Mécontent  de  cette  décision,  Petlioura  donne  sa 
démission  de  secrétaire  de  la  Guerre  et  se  rend  en 
province  pour  y  organiser  des  corps  de  francs- 
cosaques  afin  de  lutter  contre  les  ennemis  de  son  pays. 

Le  bruit  s'étant  répandu  à  Kiev  que  le  Cabinet 
Vinnitchenko  est  sur  le  point  de  conclure  la  paix  avec 
les  Puissances  centrales,  le  parti  Jeune-Ukrainien 
décide  de  faire  un  coup  d'Etat  pour  le  renverser  et 
empêcher  la  signature  du  traité.  Les  automobiles  blin- 
dées font  dans  les  rues  de  Kiev  une  démonstration. 
Vinnintchenko  démissionne. 

Skoropadski,  général  dans  l'ancienne  armée  russe, 
avait  songé  à  prendre  la  dictature  avec  le  titre  de 
Hetman,  mais  le  moment  venu,  il  se  défile  sous  pré- 
texte que  les  Alliés  ne  lui  donnent  pas  la  promesse  de 
faire  défendre  Kiev  contre  les  Bolcheviks  par  les  deux 
divisions  tchéco-slovaques  qui  se  trouvent  dans  la 
ville. 

La  Colonie  française,  que  les  événements  n'ont  nul- 
lement émue  et  qui  continue  à  garder  toute  sa  sym- 
pathie et  aussi  toute  sa  confiance  au  mouvement  ukrai- 
nien, décide  d'ofïrir  aux  poilus  des  différentes  mis- 
sions françaises  et  aux  officiers  français  et  alliés  une 


SECONDE    ÉMEUTE    A    KIEV  27 


soirée  artistique  dans  la  salle  du  Conservatoire.  Les 
professeurs  français  de  Kiev  interprètent  au  milieu  de 
l'hilarité  générale  le  Client  sérieux  du  gai  Courteline. 
Ne  fallait-il  pas  rire  un  peu  avant  le  nouvel  assaut  que 
Kiev  allait  subir? 


Succès   des  troupes  bolchevistes 
en  Ukraine 

Lancés  par  les  Allemands  contre  la  jeune  Répu- 
blique ukrainienne  au  moment  où  celle-ci  s'entendait 
avec  les  Alliés  pour  la  continuation  de  la  guerre,  les 
Bolcheviks  ne  peuvent  plus  être  arrêtés.  D'ailleurs, 
l'arrivée  de  la  Délégation  ukrainienne  à  Brest-Litovsk 
rend  Krylenko  moins  intéressant  et  permet  aux  Alle- 
mands de  hausser  le  ton  en  parlant  aux  délégués 
maximalistes. 

Le  28  janvier,  Loubny,  situé  entre  Poltava  et  Kiev, 
tombe  aux  pouvoirs  des  Bolcheviks  :  la  route  de  la 
capitale  ukrainienne  est  ouverte. 


Seconde  émeute  à  Kiev 

Le  lendemain,  les  Bolcheviks  de  Kiev  sentant  les 
camarades  approcher,  s'emparent  par  surprise  et  sans 
coup    férir    de    l'arsenal    qui    contient    mitrailleuses, 


2.S  i)i;i  \  ANNKi-s  i;n   i  kiîaini: 


arlilleric  et  munitions.  On  se  bat  avec  acharnement 
durant  toute  la  nuit  et  le  lendemain.  Le  31,  ils  s'em- 
parent de  Podol,  bas  quartier  de  la  ville,  sur  la  rive 
du  Dniépre.  Au  Télégraphe,  la  lutte  est  d'une  violence 
inouïe.  Beaucouj)  de  victimes  même  j)armi  les  civils. 
Le  commandant  Jourdan,  de  la  Mission  française,  est 
tué  d'une  balle  perdue  de  mitrailleuse.  L'aspect  des 
rues  est  sinistre.  Tranchées,  barricades,  mitrailleuses 
aux  carrefours,  des  canons  sur  les  places  et  sur  les 
endroits  les  plus  élevés;  la  circulation  est  complète- 
ment interrompue,  l'électricité  est  coupée. 

Le  2  février,  la  lutte  augmente  d'intensité  :  des 
trains  blindés  tirent  sans  arrêt  dans  les  rues.  Lors- 
qu'on se  risque  à  sortir,  il  faut  souvent  s'étendre  à 
terre  et  attendre  que  les  rafales  se  calment,  tant  les 
balles  tapent  dur  à  hauteur  d'homme,  faisant  voler 
en  éclats  les  vitres  et  criblant  littéralement  les  murs. 
De  paisibles  habitants  trouvent  ainsi  la  mort  chez 
eux... 

En  ville,  plus  de  pain  depuis  la  bataille.  Heureux 
les  prévoyants  qui  ont  fait  quelques  provisions  d'eau 
et  de  farine.  Pour  s'engager  dans  la  garde  rouge,  il 
suffit  de  s'inscrire  et  l'on  obtient  un  fusil.  Aussi 
peut-on  voir  passer  dans  les  rues  de  sinistres  bandes 
armées  aux  allures  inquiétantes. 

Le  3  février,  la  lutte  continue  encore  plus  achar- 
née, mais  les  troupes  d'investissement  bolcheviques 
n'ayant  pas  encore  atteint  Kiev  et  Petlioura  arrivant 


PRISE   DE   KIEV   PAR   LES   BOLCHEVIKS  29 

de  province  avec  quelques  troupes  francs-cosaques, 
les  Ukrainiens  l'emportent.  Les  derniers  gardes  rouges 
sont  fusillés,  l'arsenal  se  rend  et  l'on  s'aperçoit  que 
c'était  une  poignée  d'hommes  qui  avaient  mené 
l'émeute. 

Les  Ukrainiens  vainqueurs  célèbrent  leur  victoire. 
En  ville,  grand  défilé  de  troupes  victorieuses,  musique 
en  tête. 

Pendant  ce  temps,  les  troupes  régulières  bolche\d- 
ques  encerclent  la  ville.  De  grandes  forces  arrivent 
sur  trains  blindés. 

A  l'extérieur,  Odessa  tombe  entre  leurs  mains  après 
un  bombardement  de  trois  jours.  Là-bas  aussi  le  sang 
a  coulé. 

Un  nouveau  ministère  est  constitué  qui  réclame 
l'aide  immédiate  de  l'Autriche.  Mais  l'Ukraine  n'existe 
plus,  seul  son  cœur  bat  encore,  mais  bien  faiblement. 


Prise  de  Kiev  par  les  Bolcheviks 

Le  3  février,  commence  l'attaque  méthodique  de  la 
ville.  Deux  trains  bombardent  sans  arrêt  le  Lipkj',  le 
plus  élégant  quartier  de  Kiev.  Pendant  quatre  jours 
et  quatre  nuits  le  bombardement  est  d'une  violence 
inouïe.  On  compte  la  nuit  une  moyenne  de  huit  coups 
à  la  minute  et  50.000  obus  en  quatre  jours,  faisant 


30  DEUX   ANNÉES   EN    l'KHAINK 


près  de  If). 001)  vicliines.  La  lueur  sinistre  des  incen- 
dies éclaire  seule  la  ville.  La  maison  du  Prési- 
dent (Irouchevski,  bâtisse  liaute  de  neuf  étages,  flambe, 
ayant  été  particulièrement  visée. 

Le  7,  le  honibardcment  redouble  de  vigueur,  la  lutte 
dans  les  rues  devient  de  la  sauvagerie.  Partout  les 
Bolcheviks  avancent.  La  fm  approche.  Petlioura  se 
défend  avec  acharnement  tant  qu'il  peut  espérer  que 
les  deux  divisions  tchéco-slovaques,  cantonnées  dans 
la  ville,  marcheront  à  son  secours.  Mais  celles-ci, 
pour  avoir  le  chemin  libre  jusqu'à  Vladivostok,  oni 
fait  un  pacte  avec  les  Bolcheviks.  Quand  tout  espoir 
est  perdu,  Petlioura  bat  en  retraite  avec  les  débris  de 
ses  troupes  vers  Jitomir  et  Berditchef.  Avec  lui 
quittent  Kiev  les  membres  de  la  Rada  et  du  Secréta- 
riat général  qui  s'était  reconstitué  sous  la  présidence 
de  Gouloubovitch  et  avait  vécu  d'une  vie  falote  pen- 
dant le  siège  de  la  ville. 

Avant  de  partir,  ce  gouvernement,  dans  un  acte  de 
désespoir,  donne  l'ordre  à  ses  plénipotentiaires  de 
Brest-Litovsk  de  signer  la  paix  avec  les  Puissances 
centrales. 

Le  lendemain,  les  vainqueurs  font  leur  entrée. 


KIEV   SOIS    LE   RÉGIME    DES    SOVIETS  31 


Kiev  sous  le  régime  des  Soviets 

Qui  avait  mené  si  brillamment  cette  attaque?  Le 
Colonel  Mouraviof,  le  vainqueur  de  Petrograd  et  de 
Moscou  et  à  ce  moment  commandant  en  chef  des 
troupes  révolutionnaires.  Jeune,  intelligent,  mais  dur 
et  cruel,  il  fît  impitoyablement  fusiller  tous  les  offi- 
ciers ukrainiens  ou  polonais  :  ces  derniers  venaient  de 
s'emparer  de  la  Stafka  de  Moghilef  et  accouraient 
délivrer  Kiev. 

Ancien  policier,  le  colonel  parle  en  maître.  Sa  for- 
tune est  grande  grâce  aux  contributions  dont  il  frappe 
les  habitants  de  chaque  ville  dont  il  s'empare.  A  Kiev, 
le  bijoutier  Marchak  doit  payer  180.000  roubles.  Gal- 
perine,  un  riche  raffineur,  300.000.  Radzivill,  100.000. 
La  ville  elle-même  doit  verser  dans  les  trois  jours 
dix  millions.  Mais  la  banque  d'Etat  n'a  que 
225,000  roubles  en  caisse.  Les  principaux  action- 
naires et  les  gros  clients  devront  donc  payer  en 
chèques  qui  s'ajouteront  à  leurs  taxes  personnelles. 
Le  soir,  le  colonel,  confortablement  installé  dans  le 
meilleur  hôtel  de  Kiev,  boit  ferme  en  compagnie  de 
son  Etat-Major. 

Très  vite  l'ordre  est  rétabli  dans  la  ville,  mais  la 
terreur  commence  à  régner.  Le  sinistre  tribunal  s'est 
installé  dans  l'ancien  palais  impérial.  Une  salle  con- 
tient les  prisonniers,  pauvres  diables  d'officiers  por- 


',V2  i)i:rx  .\nni':i;s  i:n  ikhaini-: 


teurs  de  laissez-passer  ukrainiens.  L'on  juge  rapidc- 
nient.  Toute  défense  est  inutile.  Une  seule  peine,  la 
mort.  On  déshabille  les  condamnés,  on  les  revêt  d'une 
capote  de  soldat  et  devant  le  Palais  même  on  les 
fusille  à  la  mitrailleuse.  J'ai  vu  de  mes  yeux  fusiller 
deux  généraux  et  une  vingtaine  d'officiers  dans  l'es- 
pace d'une  demi-heure.  Des  camions  automobiles 
chargent  les  morts,  tous  frappés  à  la  tête,  et  les 
emportent  au  jardin  du  Tsar  où  est  creusée  une  fosse 
large  mais  peu  profonde.  Plusieurs  jours  après  les 
dernières  exécutions,  en  se  promenant  dans  le  jardin, 
l'on  pouvait  voir  à  terre  de  nombreuses  cervelles. 
2.300  peines  de  mort  sont  prononcées  par  le  sombre 
tribunal. 

Pour  empêcher  le  massacre  de  leurs  nationaux, 
les  Polonais  se  déclarent  neutres  et  abandonnent  la 
lutte. 

Vis-à-vis  des  Français,  le  colonel  est  peu  bienveil- 
lant. Il  prétend  que  les  officiers  des  missions  sani- 
taires ou  d'aviation  n'ont  pas  été  rigoureusement 
neutres  et  recommande  aux  militaires  de  ne  pas  bou- 
ger, autrement  les  Français  civils  paieront  pour  eux. 

Des  perquisitions  sont  opérées  en  masse.  On 
cherche  les  officiers  qui  se  cachent  encore  et  l'on  saisit 
toutes  les  armes.  En  ville  que  de  dégâts  !  Des  maisons 
éventrées,  des  vitres  partout  brisées,  des  devantures 
de  magasins  criblées  de  balles,  des  fils  des  télégraphes 
et  des  tramways  pendent  lamentablement  et  donnent 


KIEV    ÉVACUÉK    PAR    LKS    BOLCHEVIKS  33 


un  aspect  sinistre.  Le  ravitaillement  devient  dif- 
ficile. Les  Bolcheviks  ayant  taxé  les  denrées,  les 
paysans  se  refusent  à  venir  en  ville  :  plus  de  beurre, 
plus  de  viande,  du  pain  noir  fait  avec  de  la  farine  de 
pois  chiches. 

Dans  les  rues,  de  sinistres  têtes  de  marins  et  de 
sœurs  de  charité,  terribles  et  impressionnantes  appa- 
ritions. Elles  sont  typiques  ces  sœurs,  parfois  en 
culottes,  le  revolver  à  la  ceinture,  servant  aux  unes  à 
achever  les  blessés,  aux  autres  à  faire  le  coup  de  feu 
pendant  la  bataille. 

Quelques  jours  plus  tard,  l'on  fait  aux  Bolcheviks 
des  funérailles  grandioses:  450  corps  couchés  dans  de 
noirs  cercueils,  suivis  d'un  immense  cortège,  drapeaux 
rouges  et  noirs  en  tête.  Pas  un  Pope.  Beaucoup  de 
bières  ouvertes  suivant  la  coutume  orthodoxe.  De 
pauvres  mères  embrassent  le  cher  visage  du  mort  et 
se  frappent  le  front  contre  les  cercueils. 


Kiev  évacuée  par  les  Bolcheviks 

Le  16  février,  l'armistice  est  rompu,  et  aussitôt 
Allemands  et  Autrichiens  avancent  pour  occuper  le 
pays.  Mouraviof  quitte  Kiev  ])our  aller  en  Bessarabie 
contre  les  Roumains.  Les  Allemands  occupent  Rovno. 
Bientôt  ils   seront  ;i    Kiev  où    ils   sont   allendus  avec 

i 


34  I)i;lx  ANNKi  s  in    I  ivH  aim; 


impatience,  car  alors  la  lc;rri'ur  cessera,  Ja  hainjuiliité 
régnera,  la  \ie  iioimale  enliii  reprendra. 

En  silence,  les  Bolcheviks  évacuent  lu  ville,  et  la 
livrent  à  de  nombreuses  bandes  de  nialelols  i>illards. 
Les  arrestations  recommencent,  les  fusillades  sont 
plus  terribles  et  plus  arbitraires  :  des  officiers  recon- 
nus par  leurs  hommes  sont  fusillés  pour  ce  seul  mo- 
tif. Les  marins  deviennent  plus  audacieux  et  ne  res- 
pectent plus  les  étrangers.  La  terreur  des  habitants 
est  grande.  C'est  un  exode  général  des  étrangers  vers 
Moscou. 

Le  19,  les  missions  françaises  quittent  Kiev  ayant 
à  leur  tête  le  général  Tabouis,  commissaire  de  la  Ré- 
publique française  près  du  Gouvernement  ukrainien. 
Un  grand  nombre  de  françaises  réussissent  à  trouver 
place  dans  le  train  et  à  se  sauver  vers  le  Nord  d'où 
peut-être  elles  pourront  regagner  la  France;  le  len- 
demain, le  Consul  part  à  son  tour.  La  ville  est  traver- 
sée par  30.000  Tchèques  qui  fuient  vers  l'Est. 

Le  23,  les  Allemands  font  leur  entrée  à  Kiev, 
et  annoncent  au  monde  que  la  capitale  de  l'Ukraine 
a  été  délivrée  par  des  troupes  saxonnes. 

Peu  à  peu  le  calme  renait  et  la  vie  normale  reprend 
son  cours. 

Quelques  jours  après,  le  Cabinet  Gouloubo- 
vitch  revenait  à  Kiev  et  faisait  pubher  une  note 
pour  manifester  son  étonnement  d'apprendre  que  les 
autorités  consulaires  alliées  ont  quitté  Kiev,  les  Aile- 


COUP   d'état   des  allemands  .35 

mands  y  étant  venus  comme  amis  de  l'Ukraine  et  non 
en  vainqueurs. 


Coup  d'Etat  des  Allemands 

Ces  amis  ne  tardent  pas  à  susciter  la  colère  et  la 
haine  du  peuple,  par  leur  brutalité  et  leurs  dépra- 
dations. 

Le  29  avril,  les  Allemands  mécontents  de  l'oppo- 
sition acharnée  des  Ukrainiens,  dispersent  la 
Rada  centrale  par  la  force  des  baïonnettes,  empri- 
sonnent quelques-uns  de  ses  membres  et  mettent  à 
la  tête  du  Gouvernement  ukrainien  le  général  russe 
Skoropadsky.  beau-frère  du  feld-maréchal  allemand 
Eichorn,  tué  quelques  semaines  plus  tard  à  Kiev  d'un 
coup  de  grenade.  Aussitôt,  s'appuyant  d'une  part,  sur 
les  Allemands,  d'autre  part,  sur  la  bourgeoisie  et 
l'aristocratie  russes  et  polonaises,  il  prend  le  titre 
de  Hetman,  forme  un  gouvernement  réactionnaire,  et 
démobilise  les  troupes  ukrainiennes.  Il  reçoit  l'auto- 
risation de  former  une  armée  qui  ne  dépassera  pas 
10.000  hommes. 


36  i)F:rx  anm-ks  un  ikhaim-: 


Le  gouvernement  du  Hetman  Skoropadsky 

Ce  couj»  (l'iClal  (iiu-  la  populalic^n  (ie  Kiev  et  même 
les  chefs  des  partis  politiques  avaient  été  loin  de 
sou])çonner,  intronise  par  un  procédé  arbitraire  et 
tout  artificiel  un  pouvoir  ([ui  ne  répond  en  rien  aux 
exigences  dcniocrati(|ues  de  ré])oque  et  de  ce  fait 
ne  trouve  aucun  appui  dans  le  peuple.  11  est  évident 
pour  tout  le  inonde  ([ue  le  Hetman  n'est  qu'une  créa- 
turc  des  milieux  réactionnaires  allemands,  car  la  per- 
sonnalité de  Skoropadsky  a  été  jusqu'à  cette  époque 
tellement  indécise  et  même  inconnue,  qu'aucun  parti 
politique  ukrainien,  sans  excepter  les  groupes  modé- 
rés, ne  croit  possible  de  faire  partie  du  Gouvernement 
formé  par  le  Hetman.  Tous  les  pourparlers  conduits  à 
cet  efTet  par  son  entourage,  avec  les  chefs  des  partis 
ukrainiens,  de  même  que  tous  les  efforts  tentés  par 
M.  P.  Vassilenko,  cadet  russe,  et  par  les  représentants 
du  haut  commandement  allemand,  restent  vains. 

La  Conférence  du  parti  socialiste-fédéraliste, 
du  10  mai,  prend  une  résolution  toute  spéciale,  par 
laquelle  elle  interdit  à  ses  membres  d'assumer  des 
postes  dans  le  gouvernement  du  Hetman.  Cette  inter- 
diction fut  maintenue  jusqu'à  la  fm  d'octobre,  au 
moment  où  la  défaite  allemande  devenant  certaine,  et 
comprenant  que  sa  politique  courait  à  un  lirack  si  elle 


GOUVERNKMENT  DU  HETMAN  SKOROPADSKY      37 

ne  s'appuyait  pas  sur  les  milieux  ukrainiens,  le  Het- 
man  se  mit  à  prodiguer  des  assurances  qu'il  l'oriente- 
rait désormais  dans  un  sens  purement  national  et 
qu'il  aborderait  sans  retard  les  réformes  démocra- 
tiques. Certains  hommes  politiques  entrèrent  alors 
dans  le  gouvernement  du  Hetman,  mais  à  titre  person- 
nel et  dans  le  seul  but  de  prévenir  un  soulèvement 
populaire  au  moyen  de  réformes  démocratiques 
urgentes  et  en  premier  lieu,  de  la  réforme  agraire. 

Les  nouveaux  ministres  ukrainiens  virent,  cepen- 
dant, aussitôt,  qu'ils  n'avaient  point  de  majorité  dans 
le  Cabinet  et  qu'à  eux  seuls,  ils  étaient  impuissants  à 
faire  réaliser  les  réformes  nécessaires.  Le  Congrès 
National  Ukrainien  dont  ils  réclamaient  la  convocation 
n'ayant  pas  été  autorisé,  ils  quittèrent  le  gouverne- 
ment dans  la  nuit  du  14  au  15  novembre.  Depuis  le 
coup  d'Etat  et  l'avènement  de  l'Hetman,  des  représen- 
tants de  milieux  politiques  ukrainiens  n'ont  donc  par- 
ticipé au  gouvernement  que  pendant  une  quinzaine  de 
jours  et  encore  n'y  ont-ils  formé  qu'une  minorité. 

La  responsabilité  pour  la  politique  intérieure  et 
étrangère  pratiquée  par  l'Hetman  depuis  le  coup 
d'Etat  du  29  avril  juscju'au  jour  de  son.  renversement, 
ne  peut  donc  être  mise  en  aucune  façon  à  la  charge 
des  partis  politiques  ou  des  milieux  sociaux  ukrai- 
niens. 

Le  Cabinet  formé  le  2  mai  par  M,  Vassilenko  et  pré- 
sidé par  M.  Lizogoub,  octobriste,  est  un  cabinet  tout  à 


38  DKL'X    ANNÉES    KN    l  RHAINK 

fait    incolore  au   point   de   \ue   de   la   polili(|iie    et    de 
l'idée  nationales. 

M.  Kolokoltzoll,  (jui  occupe  bientôt  après  le  poste 
de  ministre  de  l'Agriculture,  est  réactionnaire  ;  les 
autres  ministres  appartiennent  soit  au  parti  cadet 
pan-russe,  hostile  à  la  régénération  ukrainienne,  ou 
bien  onl  un  programme  très  rapproché  de  celui  des 
cadets. 

Le  ministre  des  Finances,  M.  Rjepetski,  cadet,  re- 
connaît ouvertement  dans  son  discours  prononcé  au 
Congres  des  Cadets  {Kievskaia  Mijsl  du  11  mai),  qu'il 
a  pris  une  part  personnelle  à  l'élection  du  Hetman, 
ainsi  qu'aux  tentatives  <(  de  rapprochement  avec  nos 
nouveaux  alliés  »  (c'est-à-dire  l'Allemagne  et  l'Autri- 
che). 

Le  cadet  Vassilenko  s'exprime  au  même  Congrès 
d'une  manière  encore  plus  catégorique  :  «  Je  me  suis 
depuis  longtemps  déjà  convaincu,  déclare-t-il,  que  les 
circonstances  historiques  se  sont  formées  de  telle  fa- 
çon que  nos  intérêts  économiques  et  commerciaux 
sont  liés  aux  Puissances  centrales  et  principalement 
à  l'Allemagne...  Notre  histoire  nous  montre  que  nos 
intérêts  nous  liaient  d'une  manière  plus  vivante  à 
l'Allemagne  qu'à  l'Angleterre.  C'est  surtout  grâce  à 
l'Angleterre  que  nous  avons  perdu  la  partie  au  Con- 
grès de  Berlin;  c'est  grâce  aux  diplomates  anglais  que 
nous  avons  perdu  les  Dardanelles  et  Constantinople. 
L'Allemagne    et    nous,    nous    sommes    géographique- 


GOUVERNEMENT    DU    HET.MAN    SKOROPADSKV  39 

ment  voisins  et  nos  intérêts  respectifs  sont  liés  les 
uns  aux  autres.  Il  en  a  été  ainsi  avant  la  guerre,  il 
en  est  ainsi  actuellement,  il  en  sera  ainsi,  je  crois 
encore,  après  la  guerre.   »   (Kievskaia  Mysl,  n"   72.) 

Cette  manière  de  voir  des  ministres  cadets  est 
sanctionnée  ensuite  par  le  leader  du  parti  cadet,  M. 
Milioukofif.  «  Je  m'oppose  résolument  à  l'interdiction 
doctrinaire  défendant  aux  membres  du  parti  cadet 
d'établir  des  accords  avec  les  Allemands  ou  de  faire 
appel  à  leur  concours  en  vue  du  rétablissement  du 
pouvoir  et  de  l'ordre  et  de  l'organisation  des  affaires 
locales  »,  écrit-il  dans  sa  Déclaration  au  Comité  Cen- 
tral (Kievskaia  Mysl  du  2  août,  n"  137). 

Dès  les  premiers  jours  de  son  existence,  le  nouveau 
cabinet  manifeste  son  activité  par  des  arrestations 
d'hommes  politique  ukrainiens,  par  le  rétablissement 
de  la  censure,  particulièrement  sévère  pour  les  jour- 
naux ukrainiens,  etc.  La  «  République  du  Peuple 
ukrainien  »  est  débaptisée  et  nommée  «  Puis- 
sance d'Ukraine  ».  Les  gros  agrariens  et  industriels  se 
sentent  désormais  maîtres  absolus  de  la  situation.  La 
réaction  est  partout,  à  tout  moment.  Aux  postes  et 
aux  emplois  officiels,  on  commence  à  remplacer  les 
Ukrainiens  par  des  dignitaires  et  des  fonctionnaires 
de  régime  tsariste,  venus  par  trains  entiers  de  Petro- 
grad  et  de  Moscou. 

Dans  le  même  temps,  cependant,  l'Hetman  et  ses 


40  i;i.i  X  .\nm'.i;s  i;n  i  kmai.m; 

ministres  aKiniu-nl  partout  la  nrccssité  de  rallcrinir 
rin(lé|)t>ii(iaiic('   |)()liti(|ii('  de   l'ikiaim'. 

Au  cours  d'une  conversation  avec  le  D'  Leberer, 
corres])on(lanl  du  Jicrlincr  IdijcbUdl,  le  Hetniaii  dit  : 
«  Je  crois  que  bien  des  gens,  en  Allemagne,  me  lon- 
sidèrent  comme  réactionnaire  et  partisan  résolu  d'une 
fédération  avec  la  Grande  Russie.  C'est  inexact.  Toute 
aussi  erronée  est  l'intention  que  l'on  me  prête  d'en- 
glober de  nouveau  l'Ukraine  dans  l'ancien  Empire 
Russe  ».  {Kicvskaia  Mijsl  du  10  mai). 

«  L'Ukraine  doit  être  un  pays  indépendant  », 
déclare  à  son  tour  M.  Vassilenko  dans  son  discours  au 
Congrès  du  i)arti  cadet  (Kicuskaia  Mysl  du  11    mai). 

Les  mêmes  idées  sont  développées  par  M.  Lizogoub 
dans  le  discours  qu'il  prononce  à  un  banquet  poli- 
tique au  cours  duquel  il  déclare  que  son  gouverne- 
ment espérait,  avec  l'aide  de  l'Allemagne  et  en  com- 
munion avec  la  culture  allemande,  créer  un  Etat 
ukrainien  indépendant  {Kieuskaia  Mysl  du  23  mai). 

C'est  encore  d'une  Ukraine  «  puissante  »  et  indé- 
pendante que  parle  le  Hetman  dans  sa  lettre  officielle 
au  premier  ministre  M.  Lizogoub  (Kicvskaia  Mysl  du 
9  juillet). 

Du  jour  où  M.  Igori  Nistiavoski  devient  ministre  de 
l'Intérieur,  la  réaction  s'accroît  encore  davantage  et 
se  manifeste  d'une  façon  plus  ouverte  et  plus  déci- 
sive. On  arrête  les  gens  et  on  les  emprisonne 
sur  une  simple  suspicion  ou  sur  une    dénonciation. 


GOUVERNEMENT  DU  HETMAN  SKOROPADSKY      41 

Le  nombre  d'arrestations  atteint  plusieurs  milliers. 

C'est  ce  même  Nistiakovski  qui,  à  l'instigation  des 
Allemands,  prend  des  arrêtés  d'expulsion  contre 
quelques  F'rançais.  Un  jeune  Ukrainien,  ayant  eu 
vent  qu'une  mesure  semblable  se  tramait,  en 
informe  M.  M.  qui  s'empresse  d'en  faire  part  à  tous 
ceux  que  l'expulsion  pouvait  atteindre.  Sans  y  ajou- 
ter une  foi  entière,  chacun  prend  secrètement  ses  dis- 
positions pour  ne  pas  laisser  sa  famille  dans  le  besoin 
et  le  reste  de  la  colonie  dans  le  désarroi  et  l'isole- 
ment. Aussi,  quand  les  Allemands  apportèrent  l'ordre 
d'avoir  à  quitter  l'Ukraine  dans  les  quarante-huit 
heures,  personne  ne  fut  pris  au  dépourvu.  D'ailleurs, 
la  mesure  n'atteignit  pas  tous  ceux  qu'elle  avait 
d'abord  menacés.  Au  nombre  des  expulsés  furent 
les  consuls  de  Grèce  et  d'Espagne. 

Ces  arrestations  et  expulsions  n'empêchent  pas 
d'ailleurs  M.  Nistiakovski  d'affirmer  que  «  l'Ukraine 
s'est  engagée,  avec  le  concours  de  l'x^llemagne  et  de 
l'Autriche,  dans  la  large  voie  d'une  existence  indé- 
pendante en  tant  qu'Etat  »  et  que  «  le  mouvement 
puissant  des  paysans  a  fait  de  nouveau  surgir  le  dra- 
peau historique  de  l'indépendance  ukrainienne  :  l'ins- 
titution de  Hetman  ».  {Kievskaia  Mysl  du  24  août,  n" 
142). 

Le  même  M.  Nistiakovski  ne  reconnaît  pour  langue 
d'Etat,  encore  au  commencement  de  septembre,  que 
la  langue  ukrainienne  exclusivement  (Kievskaia  Mysl, 


42  I)l-(   V     Wm'is    i:N    UKUAlNli 


n"  153).  De  son  côté,  le  llclman,  au  (liiu;r  ollerl  par 
Von  Kirbach,  parle  de  l'armée  ukrainienne  à  créer, 
comme  de  la  base  (ruiu-  puissance  ukrainienne  indé- 
pendante (Kievskaia  Mysl,  n"  187). 

De  telles  contradictions  entre  les  déclarations 
publiques  du  Hetman  et  de  ses  ministres  au  sujet  de 
Tindépendance  ukrainienne  et  de  l'idée  nationale, 
d'un  ccMé,  et  leurs  actes,  de  l'autre,  seront  comprises 
aisément  si  l'on  tient  compte  de  la  politique  de  dupli- 
cité adoptée  par  le  Gouvernement  allemand  et  ses 
agents  vis-à-vis  de  l'Ukraine. 

En  assurant  les  Ukrainiens  de  leurs  sympathies 
pour  l'idée  d'indépendance  de  l'Ukraine,  les  réac- 
tionnaires allemands  pensent  en  réalité  au  rétablisse- 
ment, avec  le  temps,  d'une  Russie  réactionnaire  unie 
et  forte.  A  Kiev,  les  partis  de  droite  et  les  monar- 
chistes, avec,  à  leur  tête,  M.  Pourichkévitch,  s'agitent 
ouvertement  dans  ce  sens.  Il  est  hors  de  doute  que  les 
milieux  réactionnaires  allemands  sont  en  contact  avec 
eux  et  projettent  des  actions  communes  en  vue  de 
remplacer  les  Bolcheviks  en  Russie  par  un  régime 
monarchiste  réactionnaire. 

Il  semble  que,  vers  la  fin  de  son  gouvernement,  le 
Hetman  se  soit  émancipé  de  l'influence  des  réaction- 
naires allemands.  Mais  c'est  pour  tomber  sous  celles 
des  réactionnaires  russes.  La  preuve  la  plus  éclatante 
de  ce  fait  est  fournie  par  le  retour  au  ministère  de  Nis- 
tiakovski,  auteur  d'un  projet  censitaire  réactionnaire 


GOUVERNEMENT  DU  HETMAN  SKOROPADSKY     43 

pour  les  élections  municipales  et  pro\inciales,  et  le 
maintien  au  cabinet  de  Reinbot,  connu  pour  les  opi- 
nions réactionnaires  qu'il  avait  exprimées,  alors  qu'il 
était  fonctionnaire  sous  le  régime  tsariste  à  Petrograd. 

Quant  à  la  fermeté  des  opinions  politiques  du  Het- 
man  et  de  la  plupart  de  ses  ministres,  elle  est  élo- 
quemment  certifiée  par  la  note  de  dix.  de  ces  ministres, 
à  la  date  du  17  octobre,  ainsi  que  par  sa  dernière 
déclaration.  Dans  l'une  comme  dans  l'autre,  ces  parti- 
sans convaincus  de  l'indépendance  se  déclarent  des 
fédéralistes  tout  aussi  convaincus.  C'est  que  dans  le 
Cabinet  des  «  Indépendants  »  tout  comme  dans  celui 
des  «  Fédéralistes  »  il  n'y  a  point  d'hommes  poli- 
tiques véritablement  ukrainiens,  exception  faite  de 
M.  Dorschevko.  Ce  sont  des  hommes  que  la  peur  des 
Bolcheviks  a  fait  enfuir  de  Petrograd  et  de  Moscou, 
et  qui  sont  venus  à  Kiev;  ou  bien  ils  sont  nés  à  Kiev, 
mais  demeurent  étrangers  aux  aspirations  nationales, 
ignorants  de  la  langue  ukrainienne,  de  l'histoire  et  de 
la  culture  ukrainiennes  et  se  montrent  hostiles  à 
l'idée  de  la  régénération  ukrainienne. 

Il  est  impossible  de  s'imaginer  un  plus  profond 
piétinement  des  droits  du  peuple  et  un  mépris  plus 
absolu  du  peuple  lui-même.  Des  insurrections  parti- 
culières ont  lieu  sur  tout  le  territoire  ukrainien.  Les 
troupes  allemandes  qui  comprennent  plus  de  500.000 
hommes  défendent  très  énergiquement  les  intérêts  du 
Hetman  qui  se  confondent  avec  les  leurs.  Le  sang  des 


44  DEUX  ANNÉES  EN  UKRAINE 

paysans  et  des  ouvriers  ukrainiens  coule,  l'artillerie 
allemande  rase  des  villages  entiers.  C'est  un  massacre 
systématique  de  tout  ce  (jui  veut  rcstor  ukrainien.  La 
création  d'un  gouvernement  démocratique  devient 
pour  l'Ukraine  une  question  extrêmement  urgente. 
La  patience  du  peuple  est  à  bout.  Tous  les  partis  poli- 
tiques se  réunissent  pour  fonder  contre  les  Alle- 
mands et  Skoropadsky  une  Ligue  nationale  qui 
fomente  un  soulèvement  général,  renverse  le  Hetman 
et  établit  un  Directoire  de  cinq  membres  parmi  les- 
quels M.  Petlioura,  le  futur  généralissime  de  l'armée 
ukrainienne. 


Petlioura 

Comme  secrétaire  général,  ministre  de  la  guerre, 
membre  et  plus  tard  président  du  Directoire  ukrai- 
nien, Petlioura  a  joué  et  joue  encore  un  si  grand  rôle 
en  Ukraine  qu'il  mérite  bien  quelques  notes  biogra- 
phiques. 

Rolchéviste  pour  les  réactionnaires,  réactionnaire 
pour  les  Bolcheviks,  Petlioura,  le  grand  calomnié,  est 
pour  le  peuple  ukrainien  tout  entier,  le  héros  national, 
le  libérateur  de  l'Ukraine. 

11  est  né  d'une  pauvre  famille  de  cosaques  à  Pol- 
tava,  en  1878.  Après  des  études  faites  au  séminaire 
de  sa  ville  natale,  il  reçut  le  brevet  d'instituteur.  Son 


PETLIOURA  45 


activité  politique  l'obligea  à  passer  en  Galicie  où  il  se 
familiarisa  avec  le  mouvement  nationaliste. 

La  première  Révolution  (1905)  le  trouva  à  Kiev  où 
tout  de  suite,  il  prit  une  part  très  active  à  la  fonda- 
tion du  journal  Rada,  publié  en  langue  ukrainienne, 
tout  en  collaborant  au  Slovo,  organe  social  démo- 
crate. 

Conduit  par  les  circonstances  à  Petrograd,  il  con- 
tinue sa  collaboration  aux  journaux  kiévois,  s'occupe 
activement  du  mouvement  ukrainien  et  de  la  fonda- 
tion du  Club  ukrainien. 

A  Moscou,  où  il  se  rend  ensuite,  il  devient  secré- 
taire de  rédaction  de  la  revue  mensuelle  Ukrainskaia 
Jisn,  en  langue  russe,  et  participe  à  l'organisation  de 
la  société  musicale  Kobsar.  C'est  par  ignorance  des 
habitudes  du  peuple  slave,  que  des  adversaires  de 
Petlioura  ont  confondu  son  rôle  dans  cette  société 
musicale  avec  la  profession  d'artiste  de  café-concert 
qu'il  aurait  exercée.  En  Russie,  toute  société,  même 
politique,  organise  parmi  ses  membres  un  orphéon  ou 
un  orchestre,  qui  est  mis  à  contribution  dans  des 
soirées  d'ailleurs  très  agréables  offertes  fréquemment 
à  tous  les  sociétaires  et  à  leur  famille. 

Au  commencement  de  la  guerre  de  1914,  Petlioura 
se  rend  sur  le  front  pour  y  représenter  le  Zemsky 
Soiouz  et  organiser  des  hôpitaux  de  première  ligne. 
C'est  là  que  le  trouvèrent  la  Révolution  et  le  vote  du 
premier    Congrès    militaire    ukrainien    (jui    le    désigne 


Ait  '  DKL'X    ANNr^KS    FN    rKKAIM. 

comme  présidciil   du   (loinitr   géïK'-riil    inililniir   ukrai- 
nien. 

Au  moment  où  la  Rada  centrale  crée  le  Secrétariat 
général  comme  organe  exécutif,  Potlioura  devient  tout 
naturellement  secrétaire  général  des  affaires  de  la 
guerre,  puis  ministre  de  la  guerre  quand  le  Directoire 
se  constitue,  en  juillet  1918.  Toute  l'activité  de  M.  Pet- 
lioura  depuis  la  Révolution,  peut  se  résumer  en  deux 
mots  :  guerre  aux  ennemis  de  l'Ukraine,  qu'ils  soient 
Allemands,  Bolcheviks  ou  Polonais. 


Skoropadsky  et  lEntente 

Le  13  novembre,  les  journaux  de  Kiev  annoncent 
qu'un  armistice  vient  d'être  conclu  sur  le  front  fran- 
çais. 

Aussitôt,  sur  la  demande  du  Consul  du  Danemark 
et  des  partis  ukrainiens,  les  portes  de  la  prison  de 
Lukianovka  s'ouvrent  pour  rendre  à  la  liberté  les 
détenus  politiques,  parmi  lesquels  se  trouvaient  plu- 
sieurs Français  et  quelques  membres  de  la  Rada,  in- 
ternés plusieurs  mois  auparavant  j)ar  les  Allemands. 

Le  Hetman  Skoropadsky,  jusque  là  germanophile 
convaincu,  change  de  politique  et  devient  francophile 
très  ardent.  Il  forme  un  nouveau  cabinet  et  remplace 
au  Sous-Secrétariat  des  Affaires  Etrangères  le  bureau- 


SKOROPADSKY  ET  L'ENTENTE  47 

crate  russe  Paltof,  instrument  des  Allemands  en 
Ukraine,  par  M.  Galip  dont  les  sentiments  francophi- 
les sont  connus  de  tous  et  dont  toute  l'activité,  au  cours 
des  derniers  mois,  s'est  dépensée  à  susciter  des 
obstacles  à  l'occupation  allemande.  Espérant  avoir 
mis  par  ce  changement  la  politique  de  l'Ukraine  d'ac- 
cord avec  les  vœux  de  l'Entente,  il  envoie  des  missions 
diplomatiques  à  Jassy,  près  de  la  Commission  inter- 
alliée et  à  Odessa,  près  de  M.  Henno,  représentant  des 
Alliés  sur  les  bords  de  la  Mer  Noire. 

La  presse  au  service  du  Hetman  reçoit  l'ordre  d'en- 
tonner l'hymne  aux  Alliés  et  plus  particulièrement  à 
la  France  :  ce  fut  chaque  matin  le  dénombrement  des 
navires  de  guerre  qui  paraissaient  à  l'Jiorizon,  à  la 
sortie  du  Bosphore,  et  des  divisions  anglaises  et  fran- 
çaises qui  débarquaient  à  Novorossiisk,  à  Sébastopol 
et  à  Odessa,  des  divisions  roumaines  et  polonaises  qui 
se  massaient  aux  frontières  de  l'Ukraine  pour  la 
défendre,  d'une  part  contre  les  «  bandes  »  de  Pet- 
lioura  qui  s'avançaient  de  la  Galicie  et  les  «  bandes  » 
lettonnes  et  chinoises  au  service  des  Bolcheviks  russes, 
qui.  venaient  de  l'Est  et  dn  Nord-Est. 

En  même  temps,  l'armée  des  Volontaires  se  compte 
et  fait  des  enrôlements,  réquisitionne  édifices,  vête- 
ments, chaussures  et  aliments  et  bientôt  décrète  la 
mobilisation  générale,  d'abord  de  la  jeunesse  des  Uni- 
versités et  des  Gymnases,  puis  de  toute  la  jeunesse 
du  pays  non  encore  occupé  par  l'armée  de  Petlioura. 


48  UEl  X    ANNKKS    KN    IKMAINi; 

Le  premier  décret  fait  des  mécontents  parmi  les 
étudiants  qui  projettent  de  se  réunir  à  ITniversité 
pour  étudier  la  situation. La  réunion  est  interdite. Sans 
tenir  compte  de  cette  interdiction,  les  étudiants  et  les 
étudiantes  forment  un  cortège  et  veulent  se  rendre 
par  Bihikovski  Boulevard  à  l'Université  Saint-A'ladi- 
mir,  mais  un  groupe  de  volontaires  à  cheval  accourt 
et  sans  sommation  aucune,  tire  sur  le  cortège.  Bilan 
de  la  journée  :  quatorze  morts  dont  trois  cursistes 
(étudiantes)  et  une  trentaine  de  blessés. 

Le  second  décret  affecte  surtout  la  population 
Israélite  qui  manifeste  son  mécontentement  en  fer- 
mant ses  magasins,  en  boycottant  les  valeurs  russes 
et,  autant  qu'elle  le  peut,  en  faisant  filer  les  jeunes 
gens  à  Vienne  et  à  Budapest,  les  seuls  endroits  encore 
accessibles  aux  voyageurs  venant  de  l'Ukraine. 

On  annonce  officiellement  que  des  missions  mili- 
taires alliées  vont  arriver  à  Kiev  et  que  M.  Henno 
viendra  s'établir  près  du  Hetman.  On  réquisitionne 
l'hôtel  Continental  (encore  habité  par  des  Allemands) 
pour  héberger  les  missions,  et  deux  étages  d'une  mai- 
son sise  rue  Luteranskaia,  n"  40,  pour  M.  Henno.  Il 
convient  aussi  de  bien  loger  les  nombreux  soldats 
français  qui  vont  arriver  :  alors  on  réquisitionna  les 
théâtres,  les  salles  des  cafés-concerts  et  les  cinémas; 
pour  les  recevoir  comme  ils  le  méritent,  des  comités 
s'organisent,  des  souscriptions  sont  ouvertes  et  le  ^^l- 
nistère   des   Affaires   Etrangères  informe   par   la   voie 


ENCERCLEMENT    DE    KIEV  49 

des  journaux  qu'un  personnage  officiel  a  été  désigné 
pour  élaborer  avec  le  concours  des  comités  le  pro- 
gramme de  la  réception,  d'abord  du  Consul  M.  Henno, 
puis  du  Général  Franchet  d'Esperey  et  de  son  Etat- 
Major,  des  Etats-Majors  alliés,  enfin  des  troupes  fran- 
çaises, anglaises,  roumaines,  italiennes  et  polonaises 
qui  «  viennent  soutenir  l'armée  des  Volontaires  con- 
tre les  troupes  de  Petlioura  et  celles  des  Bolcheviks  v. 
La  Colonie  française  ne  veut  pas  rester  en  arrière. 
Elle  ouvre  une  souscription  et  aussitôt  chacun  se 
met  à  l'œuvre  pour  que  la  réception  des  poilus  soit 
le  plus  grandiose  possible  :  l'argent  afllue,  des  dra- 
peaux, des  fleurs,  des  guirlandes  sortent  des  doigts 
dilii^ents  de  toutes  les  Françaises. 


Encerclement  de  Kiev  par  l'armée 
de  Petlioura 

Dans  ce  ciel  serein,  des  coups  de  canon  se  font  tout 
à  coup  entendre  :  il  paraît  que  Petlioura  a  réuni 
autcnir  de  lui  des  <  bandes  de  pillards  et  de  bandits  ^>, 
—  c'est  ainsi  que  s'exprime  la  j)resse,  —  qui  vou- 
draient s'emparer  de  Boïarka.  En  réalité,  ce  sont  les 
recrues  qui  ont  répondu  à  la  mobilisation  décrétée 
par  Pellioura  et  la  Ligue  Nationale.  Autour  de  ce 
novau.  au  tur  et  à  mesure  de  son  avanre  en  Ukraine, 


50  i)i:ux  ANM':r:s  r:\  ikf^mne 

les  paysans  se  rassemblent  pour  conibaltrc  contre 
Skoropadsky.  L'I'kraine  pres(|iie  toute  entière  est  déjà 
reconquise  i)ar  son  «  Libérateur  >■,  et  ce  n'est  pas  à 
Boïarka  que  le  canon  tonne,  mais  aux  environs  de 
Swetocliine.  L'encerclement  de  Kiev  est  d'ailleurs 
bientôt  si  total,  que  les  paysans  n'y  entrent  plus  j)our 
l'approvisionner. 

Les  aliments  de  première  nécessité  se  vendent  à  des 
f)rix  inconnus  jusqu'à  ce  jour  :  le  pain  devient  rare  et 
vaut  3  roubles  la  livre  le  pain  gris,  10  roubles  le  pain 
blanc,  les  œufs  38  roubles  la  dizaine,  le  lait  3  roubles 
le  petit  verre,  la  viande  7  roubles  la  livre,  le  beurre 
de  table  80  roubles,  le  beurre  de  cuisine  50  roubles,  et 
toutes  ces  denrées  de  première  nécessité  sont  presque 
introuvables. 

Le  canon  tonne  de  plus  en  plus  fort,  les  mitrail- 
leuses se  mettent  de  la  danse.  L'émoi  devient  grand 
dans  Kiev  oi^i  chacun  revit  les  heures  sombres  du 
bombardement  des  Bolcheviks.  La  presse,  elle,  est 
optimiste  et  le  Hetman  fait  afficher  sur  les  murs  de 
Kiev,  deux  proclamations  de  M.  Henno  au  peuple 
de  l'Ukraine.  Il  y  est  dit  que  le  Gouvernement  fran- 
çais reconnaît  l'Ukraine  telle  qu'elle  est  alors  consti- 
tuée, et  qu'il  fait  confiance  au  Hetman  et  aux  nou- 
veaux ministres  qu'il  vient  de  se  choisir. 

Si  elles  ne  sont  pas  apocryphes,  ces  deux  procla- 
mations laissent  supposer  que  le  Gouvernement  de  la 
République  française  condamne  la  République  ukrai- 


ENCERCLEiMENT    DE   KIEV  51 

nienne  et  ne  veut  voir  à  Kiev,  comme  dans  le  reste  de 
la  Russie  qu'un  seul  Gouvernement,  le  Gouvernement 
monarchiste  de  Skoropadsky. 

L'effervescence  est  grande  en  \i\\e  et  les  réflexions 
échangées  entre  les  lecteurs  très  nombreux  de  ces  pla- 
cards, lecteurs  appartenant  à  toutes  les  classes  et  à 
tous  les  partis,  ne  sont  nullement  en  faveur  du  repré- 
sentant de  la  France  et,  partant,  de  la  France  elle- 
même.  Les  Français  qui  vivent  à  Kiev  depuis  un  cer- 
tain nombre  d'années,  et  qui  de  ce  fait,  sentent  mieux 
que  d'autres,  aveuglés  par  leurs  sympathies  ou  leurs 
intérêts,  battre  le  cœur  ukrainien,  ceux  qui  ont  vu  la 
marche  rapide  du  nationalisme  de  ce  peuple,  sont 
convaincus  que  leur  gouvernement  ou  du  moins  son 
pseudo-représentant  commet  une  lourde  faute.  Ils  con- 
damnent hautement  celui  qui  se  dit  Consul  de  France 
à  Odessa.  Ni  le  ton,  ni  la  forme  de  ces  proclamations 
ne  sont  d'un  républicain;  le  style  ne  peut  être  que 
d'un  monarchiste,  ou  d'un  républicain  au  service  des 
intérêts  monarchistes. 

Les  nombreux  agents  allemands  ne  manquent  pas 
d'exploiter  ce  fait  contre  la  France;  ils  s'en  servent 
aussitôt  dans  les  campagnes  pour  détruire  dans  le 
cœur  des  paysans  la  sympathie  naissante  pour  les 
vainqueurs  de  la  Marne  et  de  Verdun.  Aussi  les  Fran- 
çais, presque  tous  sympathiques  au  mouvement 
ukrainien,  répandent  sous  le  couvert  du  manteau  (pie 
ces  proclamations  ne  peuvent  être  rédigées  que  par  le 


62  DEUX  ANNÉES  i:n  t  ki!\im: 


HeliiKiii  liii-inc'inc,  :ifin  d'élayer  une  caiisc  dc'-jà  chan- 
celante. 

L'impression  produite  par  ces  deux  proclamations 
diminuanl  un  ])cu,  un  nouxcau  grand  j)lacar(l  annon- 
ce aux  liabitants  de  Kiev,  d'une  phrase  brève,  mais  en 
gros  caractères,  qu'Enno  venait  d'être  nommé  Con- 
sul de  France  à  Kiev  et  que  Franchet  d'Esperey  pre- 
nait le  commandenianl  des  troupes  françaises  qui 
allaient  opérer  en  F k raine. 


Prise  de  Kiev  par  Petlioura 

Toutes  ces  proclamations  et  tous  ces  placards  n'em- 
pêchent pas  Petlioura  et  son  armée  de  faire  leur 
entrée  à  Kiev  quelques  jours  plus  tard,  le  14  no- 
vembre, au  milieu  des  acclamations  d'une  foule 
enthousiaste.  Au  même  moment,  d'un  autre  côté  de  la 
^111e,  une  troupe  de  volontaires,  300  en\iron,  sortait 
pour  s'en  aller  rejoindre  vers  le  sud  l'armée  de  Deni- 
kine.  Les  autres  officiers  de  l'armée  des  Volontaires 
rentrent  chez  eux,  ou  s'enferment  à  l'hôtel  François, 
pour  y  attendre  les  événements.  Les  jeunes  gens  des 
trois  dernières  classes  des  gymnases  qui  avaient  été 
mobilisés  pour  maintenir  l'ordre  dans  la  ville,  revien- 
nent au  sein  de  leur  famille  et  reprennent  leurs  études. 

On  s'attendait  à  des  représailles  contre  les  officiers 


PRISE   DE   KIEV   PAU   PETLIOURA  53 

volontaires  et  à  un  pillage  de  la  ville  (les  journaux  du 
Hetman  avait  annoncé  que  Petlioura,  pour  entraî- 
ner ses  «  bandes  »  à  l'assaut  de  Kiev,  leur  avait  promis 
dans  un  ordre  du  jour  de  leur  livrer  la  ville  pendant 
trois  jours).  Il  n'en  est  rien.  Le  nouveau  Gouverneur 
de  Kiev  prend  les  mesures  les  plus  énergiques  pour 
assurer  la  tranquillité  et  surtout  le  ravitaillement  de 
la  population  affamée  depuis  un  mois.  Aux  familles 
des  officiers  et  aux  consuls  qui  l'interrogent,  il 
affirme  qu'aucune  exécution  ne  sera  faite  avant  que 
le  procès  de  chaque  officier  ne  soit  instruit  et  une 
sentence  prononcée.  En  attendant  le  procès  et  la  sen- 
tence, les  coupables  et  les  suspects  sont  enfermés  au 
Musée  pédagogique  d'où  18  sur  7  à  800  sortent  pour 
subir  la  peine  prononcée  contre  eux  «  pour  avoir  com- 
mandé des  fusillades  d'Ukrainiens  et  organisé  des 
corps  de  troupe  pour  combattre  contre  les  armées  de 
la  République  ukrainienne  ». 


Le  Directoire  et  les  Représentants  de  l'Entente 

Le  premier  soin  de  Petlioura  dont  les  sentiments 
francophiles  ne  sont  douteux  pour  aucun  de  ceux  qui 
le  connaissent,  est  d'organiser  le  Directoire  et  d'adres- 
ser une  note  au  Représentant  des  Alliés  à  Odessa  poui- 
lui  demander  les  raisons  qui  avaient  amené  l'Entente  à 


54  DEUX  ANNi':i;s  i:n  ikhaini: 


débarquer  ses  régiments  sur  le  territoire  ukrainien 
sans  prévenir  le  Gouvernement  du  pays.  En  même 
temps,  les  troupes  ukrainiennes  qui  se  sont  portées 
vers  Odessa  et  occupent  en  partie  la  ville  exigent  que 
les  troupes  de  Denikine  se  retirent.  Celles-ci  refusant, 
un  combat  s'engage,  mais  voyant  des  soldats  français 
dans  les  rues,  pour  éviter  un  conflit  avec  l'Entente,  le 
commandant  ukrainien  cesse  les  hostilités  et  se  retire 
à  Razdielnaia,  où  vient  cantonner,  à  côté  des  Ukrai- 
niens, une  compagnie  de  zouaves  avec  quelques  pièces 
d'artillerie  de  montagnes. 

Deux  délégations  partent  de  Kiev  ;  l'une  dont  fai- 
sait partie  M.  Sydorenko,  actuellement  président  de  la 
Délégation  ukrainienne  à  la  Conférence  de  la  Paix, 
pour  Jassj^  ;  l'autre,  pour  Odessa  où  déjà  se  trouvent 
les  délégations  du  Don,  de  Kouban  et  de  la  Ru- 
thenie  Blanche.  Elles  veulent  unir  leurs  efforts 
pour  trouver  un  terrain  d'entente  avec  les  Alliés.  Mal 
informées,  les  autorités  militaires  françaises  prennent 
des  mesures  pour  que  la  délégation  d'Odessa  ne  puisse 
repartir  pour  Kiev,  ni  communiquer  avec  le  Direc- 
toire. 

Sans  nouvelle  de  ses  deux  délégations,  le  Direc- 
toire s'inquiète  de  l'invasion  bolchéviste  qui  menace 
l'Ukraine  :  déjà  des  bandes  de  Chinois  et  de  Lettons 
à  la  solde  de  Lénine  opèrent  des  dépradations  à 
Bogoutchar,  puis  à  Koupiansk.  Renforcés  de  Bolche- 
viks réguliers,  elles  avancent  vers  Karkov.  Le  Direc- 


LE    DIKliCTOIRE    ET    L  ENTENTE  OD 

toire  envoie  une  délégation  à  Moscou,  demander  des 
explications.  Il  lui  est  répondu  que  Moscou  n'est  pas 
en  guerre  avec  l'Ukraine  et  que  les  bandes  signalées 
n'ont  rien  de  commun  avec  les  Bolcheviks  réguliers. 

Connaissant  la  situation  très  précaire  de  l'Ukraine 
placée  entre  le  feu  des  Polonais  à  l'ouest,  l'armée  de 
l'Entente  qui  débarque  à  Odessa  sans  dire  dans 
quelles  intentions,  et  les  Bolcheviks  qui  viennent  du 
nord  et  de  l'est  et  sachant  qu'au  sein  du  Directoire, 
tous  les  membres  ne  sont  pas  contraires  à  une  alliance 
avec  la  République  des  Soviets,  ceux-ci  nomment  une 
délégation  qui  part  de  Moscou  pour  Kiev.  Mais  elle 
est  arrêtée  à  Orsha,  le  Directoire  ne  l'autorisant  pas  à 
pénétrer  sur  le  territoire  ukrainien  tant  que  les 
troupes  soviétistes  n'auront  pas  été  retirées  au  delà 
de  la  frontière  ukrainienne. 

Une  nouvelle  délégation  composée  de  MM.  Matsie- 
vitch  et  Margoline,  part  pour  Odessa  dans  le  but  de 
demander  aux  Alliés  leur  secours  contre  les  Bolche- 
viks. Elle  n'obtient  aucun  résultat. 

Pendant  ce  temps,  les  troupes  bolcheviques  bien 
instruites,  bien  disciplinées  et  bien  armées  avancent 
en  Ukraine  dont  elles  veulent  à  tout  prix  s'emparer 
avant  l'avance  des  armées  de  l'Entente. 

Ne  recevant  aucune  nouvelle  d'Odessa,  ni  de  la  pre- 
mière ni  de  la  deuxième  délégation,  le  Directoire  en- 
voie à  Birsula,  pour  hâter  les  pourparlers  et  sauver 
Kiev,  MM.  Ostapenko,  ministre  du  Commerce  et  Gre- 


56  i)i:rx    \nm':i;s  i.\  i  kmaiM': 


kov,  ininislre  de  la  riucrre  i\u\  se  reneontrenl  avec  ie 
colonel  Frevdeiiher.'^,  cher  d'Elat-Major  du  j^éiiéral 
d'Anselme,  le  capilaiiie  Lan^eron  et  le  lieutenant  \'il- 
lainc.  Les  ])ourparlers  donnent  lieu  à  un  échanj^e  de 
télégrammes  entre  le  commandement  français  d'O- 
dessa et  le  Directoire  de  Kiev  à  la  suite  du(juel  le  (iou- 
vernement  ukrainien  accepte  toutes  les  propositions 
([ui  lui  sont  faites  à  rexcei)tion  d'une  seule  :  le  renvoi 
à  Odessa  des  agents  germanophiles  et  des  anciens 
ministres  arrêtés  pour  crimes  de  lèse-nation  envers 
l'Ukraine  et  pour  délit  de  droit  commun  et  de  ce  fait 
déférés  devant  un  tribunal  composé  de  douze  juges 
ayant  tous  exercé  leurs  fonctions  sous  l'ancien  ré- 
gime. 

Parce  que  cette  clause  n'est  pas  acceptée,  les  pour- 
parlers sont  immédiatement  interrompus  et  l'Ukraine 
est  laissée  dans  la  situation  la  plus  poignante.  Soup- 
çonnée de  Bolchévisme,  alors  qu'elle  s'épuise  à  le  com- 
battre, elle  voit  depuis  ce  jour  les  meilleurs  de  ses  fils 
mourir  sous  les  balles  de  ceux  qui  devraient  seconder 
sa  bravoure  et  sa  courageuse  défense. 


MON    RETOUR   EN    FRANCE  57 


Mon  retour  en  France 

L'arrivée  ])rochaine  des  Bolcheviks  à  Kiev,  m'oblige 
à  mettre  les  miens  en  sécurité  et  me  fait  songer  à 
revenir  en  France.  D'autant  plus  que  quelques  jours 
avant,  M.  Cerkal,  le  courrier  de  M.  Henno,  qui  faisait 
depuis  un  mois  la  navette  entre  Odessa  et  Kiev,  m'avait 
informé  qu'il  fallait  renoncer  pour  l'instant  à  toute 
nouvelle  œuvre  de  propagande  française  et  même  à 
celles  déjà  existantes.  Il  ne  reste  d'ailleurs  presque 
plus  de  Français,  ni  de  Françaises  dans  la  capitale 
ukrainienne. 

Parti  de  Kiev,  le  26  janvier,  j'arrive  le  3  février  à 
Odessa  où  je  peux,  après  bien  des  difficultés,  bien  des 
démarches  et  bien  des  refus,  m'embarquer,  à  mes 
propres  frais,  naturellement,  le  24  février,  avec  ma 
femme,  et  mon  bébé  de  deux  ans,  sur  le  pont  d'un 
navire,  le  Tigris,  qui  me  dépose  à  Salonique  le  27. 
Je  dois  faire  dans  cette  ville  à  demi  ruinée  un  séjour 
de  huit  jours,  avant  de  pouvoir  me  faire  admettre  à 
bord  du  Criti  qui  me  jette  dans  l'île  déserte  de  Saint- 
Georges,  près  du  Pirée,  sous  prétexte  qu'ayant  voyagé 
avec  des  Grecs,  je  dois  être  contaminé.  Le  médecin  de 
l'île  qui  surveille  la  construction  du  lazaret  où  je  de- 
vais être  hébergé,  me  fait  monter  à  11  heures  du  soir 
sur  un  chaland  (jui  me  débarque,   ma  femme,   mon 


58  DKix  ANNi^:i:s  en  ukraini: 


bébé  (i  uru'  In  mille  belge,  à  2  heures  du  iinitin,  sur  le 
quai  (lu  Pirée. 

Aj)rès  de  multiples  démarches  à  Athènes  et  au  Pi- 
rée, près  de  la  base  navale  de  ce  port  et  près  du  (Con- 
sulat, je  prends  place,  toujours  sur  le  ponl,  sur  Vlmpe- 
ratul  Trajan,  vapeur  roumain  all'rété  par  le  gouver- 
nement français  pour  le  transport  des  troupes  fran- 
çaises de  Roumanie,  et  après  un  arrêt  de  deux  jours 
à  Messine,  je  foule  enfin  le  sol  de  ma  patrie  le  19 
mars,  cinquante-deux  jours  après  mon  départ  de 
Kiev. 


IP  PARTIE 


L'UKRAINE 


L'Ukraine  se  compose  des  territoires  des  anciens 
Empires  russe  et  austro-hongrois  et  comprend  les 
gouvernements  de  Tcliernigov,  Poltava,  Kliarkov, 
Ekaterinoslav;  une  partie  fie  Koursk;  les  districts  de 
Voronèje,  de  Taganrog  et  de  Rostof;  les  gouverne- 
ments de  Kouban,  de  Tchernomore,  de  Tauride  (y 
compris  la  Grimée)  et  de  Kherson;  la  partie  ukrai- 
nienne de  Bessarabie,  c'est-à-dire  les  districts  de  Kho- 
tin  et  d'Akkermann,  ainsi  qu'une  partie  des  districts 
d'Ismaïl,  d'Oriev  et  de  Sorop;  les  gouvernements  de 
Podolie,  de  Kiev,  de  Volhynie;  la  Galicie  Orientale 
jusqu'à  la  rivière  San;  la  Bukovine  ukrainienne  et  la 
Hongrie  ukrainienne  avec  les  régions  Lemke,  Cliolm, 
Podlakie  et  Polissie. 

Ces  territoires  s'étendent  du  20*  longitude  orien- 
tale de  Greenwich  au  42",  et  du  44°  latitude  septen- 
trionale au  53",  c'est-à-dire  qu'ils  ont  une  largeur  de 


60 


I.  llvltAIM-: 


600   kilomètres   et    mu-    longueur   d'à    peu    pirs    1 .000 
kilomètres. 

Leur  superficie  dont  le  centre  est  situé  près  de  la 
ville  de  Krementchoug,  dans  le  gouvernement  de  Pol- 
tava,  est  d'environ  850.000  kmq. 


Frontières 


L'Ukraine  est  bornée  au  nord,  par  la  Russie  Blan- 
che et  la  Grande  Russie;  à  l'est,  par  le  Don  et  le  Cau- 
case; au  sud,  par  la  mer  d'Azov  et  la  Mer  Noire  et  à 
l'ouest,  par  la  Roumanie,  la  Tchécoslovaquie  et  la 
Pologne. 

Elle  n'a  j)as  de  limites  naturelles  nettement  défi- 
nies, surtout  à  l'est,  et  dans  une  partie  de  sa  frontière 
orientale;  mais  elle  est  d'une  autre  formation  que  les 
pays  limitrophes  dont  elle  difîère  essentiellement  par 
son  origine  géologique  et  les  éruptions  volcaniques. 


Orographie 


Le  sol  de  l'Ukraine  est  généralement  plat  et  forme 
les  immenses  steppes  qui  se  déroulent  à  perte  de  vue. 
Néanmoins,  on  peut  le  diAiser  en  trois  régions    :  la 


OROGRAPHIE  61 


région  des  montagnes,  la  région  des  plateaux  et  la  ré- 
gion des  plaines. 

Montagnes.  —  Les  montagnes  sont  :  au  sud,  les 
Monts  de  Grimée,  au  sud-est,  le  Caucase  et  à  l'ouest, 
les  Carpathes, 

Les  Carpathes  jouent  le  plus  grand  rôle  dans  la 
vie  du  peuple  ukrainien,  non  seulement  à  cause  des 
immenses  richesses  forestières  et  pétrolières  (région 
de  Drogobetch),  mais  parce  qu'elles  abritent  les  races 
montagnardes  qui  s'appellent  les  Lemkés,  les  Boïkés 
et  les  Goutzoubés. 

Le  Caucase  joue  également  un  rCAe,  mais  à  un  degré 
moindre,  car  si  ses  flancs  sont  couverts  de  vastes  forêts 
et  contiennent  un  abondant  pétrole  (région  de  Maï- 
kop),  les  Ukrainiens  y  vivent  mêlés  à  d'autres  popula- 
tions, différentes  de  langue  et  de  nationalité,  les  Tar- 
tares  par  exemple. 

Les  Monts  de  Crimée,  aux  pieds  desquels  se  trou- 
vent de  vastes  et  riants  jardins,  voient  chaque  au- 
tomne mûrir  sur  leurs  lianes  un  raisin  délicieux  qui 
fournit  des  vins  presque  aussi  renommés  que  les 
meilleurs  crûs  français. 

Plateaux.  —  Les  plateaux  de  l'Ukraine  partent  des 
bords  de  la  Mer  Noire  et  se  dirigent  vers  l'est  et 
l'ouest,  séparés  les  uns  des  autres  par  de  profondes 
vallées. 


62  i.'lkuaink 

Les  plateaux  occidentaux  s'étendent  en  Podila,  de 
la  vallée  du  Dniester  à  celle  du  Bog,  puis  passent  en 
Pocoutia,  entre  le  Dniester  et  le  Boug  et  se  terminent 
dans  la  Dobroudja.  Entre  le  Boug  et  le  San,  ils  pren- 
nent le  nom  de  Kostotcha  et  entre  le  Boug,  le  Teteref 
et  le  Pripet,  celui  de  Volhynie;  puis  ils  rejoign»ent 
les  plateaux  du  Dnièpre  qui  se  déroulent  entre  le  Te- 
teref, le  Dnièpre  et  le  Boug. 

Les  plateaux  orientaux  se  trouvent  entre  le 
Dnièpre  et  le  Donetz  et  sont  très  riches  en  charbon  et 
en  minerai. 

Tous  ces  plateaux,  appelés  «  plateaux  de  la  Mer 
Noire  »,  n'atteignent  pas  500  mètres  d'altitude;  leur 
moyenne  est  de  300  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer.  Ils  forment  ce  que  l'on  appelle  la  «  terre  noire  » 
et  sont  très  fertiles,  sauf  au  nord  où  l'on  trouve  du 
sable  et  de  l'argile.  Ils  sont  également  très  boisés  et 
les  forêts  y  occupent  de  vastes  étendues. 

Plaines.  —  Les  plaines  de  l'Ukraine  partent  de 
la  Pidlassia,  ligne  de  partage  des  eaux  du  Boug  et  du 
Pripet,  et  s'étendent  jusqu'à  la  Rostotcha  et  la  Polissia, 
vers  le  bassin  du  Pripet.  La  plaine  qui  se  déroule  sur  la 
rive  gauche  du  Dnièpre  se  termine  aux  cataractes  de 
ce  fleuve. 

Les  plaines  méridionales  de  la  Mer  Noire  s'étendent 
entre  le  plateau  de  Podolie,  le  plateau  du  Donetz, 
l'embouchure  du  Don  et  celle  du  Donetz.  La  partie 


HYDROGRAPHIE  63 


septentrionale  de  cette  plaine  est  couverte  de  sable, 
de  marais,  de  tourbe  et,  en  certains  endroits,  de  vastes 
forêts.  Jadis,  il  y  avait  là  un  grand  lac.  Près  du  Dniè- 
pre,  les  terrains  sont  variés  :  le  sable  s'y  trouve  à  côté 
d'un  humus  très  fertile,  mais  parfois  en  est  séparé  par 
des  steppes;  sur  les  rives  mêmes  du  fleuve,  on  voit  des 
prairies  et  des  terrains  marécageux. 


Hydrographie 

Fleuves.  —  Les  montagnes  de  l'Ukraine,  ses  pla- 
teaux et  ses  plaines  sont  sillonnés  par  des  cours 
d'eaux  nombreux  et  très  variés.  Les  uns  descendent 
de  montagnes  très  escarpées,  les  autres  roulent  leurs 
eaux  le  long  de  plateaux  verdoyants,  quelques-uns  en- 
fin semblent  sommeiller  au  milieu  de  l'immensité  des 
plaines.  Tous  se  déversent  dans  la  Mer  Noire  ou  la 
Mer  d'Azov. 

Les  fleuves  ukrainiens  tributaires  de  la  Mer  Noire 
sont  le  Dnièpre,  le  Dniestre  et  le  Bog. 

Le  Dnièpre  est  le  lleuve  le  plus  important,  non  seu- 
lement par  la  longueur  de  son  cours,  mais  aussi  par 
le  rôle  important  qu'il  a  joué  dans  l'histoire  du  peuple 
ukrainien  et  ([u'il  est  appelé  à  jouer  à  l'avenir.  C'est 
sur  sa  rive  droite  que  se  trouve  Kiev,  la  capitale  de 
l'Ukraine. 


04  i/i  KiiAiM-; 

Il  i)r('iul  sa  source  en  Kiissie  Hhmclie  cl  enlrc  en 
Ukraine  alors  que  ses  eaux  sont  déjà  abondantes  : 
à  Kiev  son  lit  atteint  8ô0  mètres  de  largeur.  Dans 
son  cours  inférieur,  en  aval  d'Ekaterinoslav,  des  ro- 
chers de  i^ranit  se  dressent  dans  son  lit  et  rornienl 
des  cascades  qui  se  continuent  sur  une  distance  de 
53  kilomètres,  jusqu'à  Alexandrovsk,  empêchant 
toute  navigabilité  sur  ce  long  parcours.  Kiev  est  donc 
de  ce  fait,  empêché  de  toute  communication  fluviale 
avec  les  ports  de  la  Mer  Noire.  Mais  si  comme  le  font 
esj)érer  les  travaux  déjà  commencés,  un  canal  rend 
navigable  cette  partie  du  Dnièpre  et  si,  d'autre  part, 
on  sait  utiliser  les  énergies  des  cascades  (houille 
blanche),  l'avenir  commercial  de  l'Ukraine  s'ouvrira 
sur  les  horizons  les  plus  vastes,  car  alors  Kiev  et  Ker- 
son  seront  reliés  en  ligne  directe. 

Le  Dnièpre  est  par  sa  longueur  le  3  lleuve  de  l'Eu- 
rope :  il  a  2.100  kilomètres,  dont  plus  de  1.500  en 
Ukraine  et  navigables. 

Les  affluents  du  Dnièpre  sont  :  sur  la  rive  droite, 
la  Beresina,  le  Pripet  grossi  du  Ster  et  du  Sloutch,  le 
Teteref  et  la  Stouna;  sur  la  rive  gauche,  la  Desna 
grossie  du  Seym,  la  Soula,  le  Psiol,  la  Vorskha,  l'Orel 
et  la  Samara.  Le  bassin  du  Dnièpre  comprend  la 
moitié  du  territoire  ukrainien. 

Le  Dniestre  prend  sa  source  dans  les  Carpathes 
ukrainiennes.  Son  cours  est  de  L300  kilomètres.  Ses 
affluents  sont,  sur  la  rive  droite  :  la  Bistritsa,  le  Strei, 


HYDROGRAPHIE  65 


la  Suitcha,  la  Limnitsa,  la  Vorona;  sur  la  rive  gauche: 
le  Strviage,  la  Veresistsa,  l'Enela  et  Solotalipa,  le  Se- 
reth,  le  Zbroutch,  le  Smotritch  et  l'Iaorleg. 

Le  Bog  qui  coule  en  Podolie  a  pour  affluent  la  Se- 
gnouka  et  l'Ingoul. 

Le  Don,  fleuve  de  l'Ukraine  orientale,  a  pour  af- 
fluents le  Voronège,  le  Manetch,  le  Donetz  et  le  Bak- 
nout.  Il  se  jette  dan-s  la  Mer  d'Azov. 

Le  Kouban  prend  sa  source  dans  les  monts  du  Cau- 
case et,  grossi  de  la  Laba  et  de  la  Bila,  déverse  ses 
eaux  qui  ont  arrosé  une  vaste  plaine,  par  deux  em- 
bouchures, l'une  dans  la  Mer  d'Azov,  l'autre,  dans  la 
Mer  Noire. 

Lacs.  —  Il  y  a  très  peu  de  lacs  en  Ukraine.  Au  nord, 
en  Polissya,  se  trouvent  les  lacs  Kniaz,  Veganovski; 
dans  le  Kouban,  le  lac  Maneth;  près  d'Odessa,  le 
lac  Bile;  près  du  Dnièpre,  le  lac  Kaoukové;  près  du 
Donetz,  le  lac  Soloné;  dans  les  montagnes  des  Carpa- 
thes,  le  lac  Chebené  qui  a  850  mètres  de  long  et  200 
mètres  de  large.  Dans  les  Carpathes  et  en  Polissia, 
il  y  a  encore  quelques  lacs  qui  ont  jusqu'à  40  kilomè- 
tres de  long  et  10  de  large. 

Mers.  —  L'Ukraine  est  baignée  au  sud  par  la  Mer 
Noire  et  la  Mer  d'Azov. 

La  Mer  Noire  a  joué  autrefois  un  grand  rôle  dans 
l'histoire  du  peuple  ukrainien.  Grâce  à   elle,  il   a   pu 


66  l'ukraink 


entretenir  dos  relations  commerciales  avec  l'Etat  by- 
zantin et  développer  ainsi  sa  civilisation  et  son  édu- 
cation. Aujourd'hui,  elle  peut  jouer  un  rôle  impor- 
tant, non  seulement  pour  l'Ukraine,  mais  pour  nombre 
d'autres  Etals  ([u'elle  mettra  en  relation  directe  avec 
l'Europe  méridionale  et  l'Europe  occidentale. 

La  Mer  d'Azov  n'est  qu'une  partie  de  la  Mer  Noire 
dont  elle  est  séparée  par  la  presqu'île  de  Crimée  et 
avec  laquelle  elle  communique  par  le  détroit  de 
Kertch. 

Ports.  —  Les  principaux  ports  que  l'Ukraine  pos- 
sède, tant  sur  la  Mer  Noire  que  sur  la  Mer  d'Azov, 
sont:  Odessa,  Nikolaïev,  Kherson,  Sébastopol,  Théodo- 
sie,  Mariopol,  Berdiansk,  Taganrog,  Novorossiisk  et 
beaucoup  d'autres  de  moindre  importance. 

Par  ces  ports,  l'Ukraine  importe  une  grande  quan- 
tité de  marchandises  et  de  produits  manufacturés  et 
exporte  son  blé,  son  charbon,  ses  minerais,  son  sucre, 
etc.. 


Villes  principales 

Les  principales  villes  de  l'Ukraine  sont  :  Kiev,  ca- 
pitale, dont  la  population  actuelle  s'élève  à  plus  d'un 
million;  Odessa  (800.000  h.),  grand  port  de  commerce 
sur  la  Mer  Noire;  Lvov  (Leopol)  (400.000  h.),  centre 


CLIMAT  67 

principal  de  l'Ukraine  occidentale;  Kharkov  (350.000 
h.),  centre  principal  de  l'Ukraine  orientale;  Ekateri- 
noslav  (300.000  h.),  centre  principal  de  l'Ukraine  mé- 
ridionale; Rostov  (250.000  h.),  grand  port  commercial; 
Ekaterinodar  (200.000  h.),  centre  principal  du  Kou- 
ban;  Kherson,  Nicolaïev,  Sébastopol,  Cernovitz,  Kre- 
mentshoug,  Vinitza,  Berditchev,  Soume,  Elisabeth- 
grade,  Jitomir,  Nijin,  Simferopol  ont  de  100  à  150.000 
habitants.  Les  autres  grandes  villes  ont  une  popula- 
tion qui  s'élève  de  50  à  100.000  habitants. 


Climat 


Le  climat  de  l'Ukraine  est  franchement  continen- 
tal. Les  étés  et  les  hivers  sont  plus  chauds  et  plus 
froids  que  dans  les  Etats  de  l'Europe  occidentale  et  il 
existe  une  très  grande  dilTérence  entre  la  tempéra- 
ture du  jour  et  celle  de  la  nuit.  C'est  un  des  climats 
du  monde  le  meilleur  et  le  plus  sain;  et  il  serait  encore 
meilleur  si  les  Carpathes  n'offraient  pas  un  obstacle 
aux  vents  chauds  de  l'ouest  et  si  l'Ukraine  était  ga- 
rantie des  vents  froids  de  l'est  qui  apportent  avec  eux 
la  sécheresse  et  les  gelées.  Les  vents  de  l'est  rendent 
l'atmosphère  de  l'Ukraine  plus  sèche  que  celle  de 
l'Europe  occidentale,  surtout  dans  les  régions  situées 
sur  la  rive  gauche  du  Dnièpre.  Quant  aux  régions  de 


L  UKRAINE 


la  rive  droite,  elles  jouissent  du  même  climat  que  l'Ita- 
lie. L'Ukraine  passe  insensiblement  d'une  saison 
à  l'autre.  Le  printemps  est  court  mais  plus  beau  et 
plus  chaud  que  dans  les  autres  pays;  il  cède  la  place, 
presque  sans  qu'on  s'en  aperçoive  à  l'été  qui  est  chaud 
et  dure  de  3  à  4  mois.  Celui-ci  est  remplacé  par  l'au- 
tomne, un  peu  tiède,  auquel  succède  l'hiver  qui  dure 
de  70  à  80  jours  sans  trop  de  rigueur. 


Importance  de  l'Ukraine 

La  situation  géographique  de  l'Ukraine  qui  s'inter- 
pose entre  la  Moscovie  et  la  Mer  Noire,  entre  l'Orient 
et  l'Occident,  lui  confère  une  grande  importance  po- 
litique. 

Pendant  des  siècles,  l'Ukraine  a  dû  se  défendre  con- 
tre les  guerres  d'envahissement  des  Mongols,  des 
Tartares  et  des  Turcs  et  s'attirer  par  là  quelque  mé- 
rite dans  l'histoire  de  l'Europe.  Actuellement,  elle  est 
et  peut  continuer  d'être,  si  des  armes  et  des  munitions 
lui  sont  accordées,  une  barrière  contre  le  bolchevisme. 
Pour  l'avenir,  elle  peut  être  l'obstacle  infranchissable 
aux  visées  allemandes  qui  n'ont  certainement  pas  re- 
noncé à  leur  expansion  économique  vers  la  Perse,  les 
Indes  et  le  Japon. 

Mais  rimportan«e  de  l'Ukraine  résultesurtûiit^de 


PRODUCTIONS    DU    SOL  69 


ses  richesses  naturelles  qui  sonMrès  abondantes  :  son 
sol  et  son  sous-sol  offrent  à  l'exploitation  agricole  et 
industrielle  des  possibilités  presqueJlHmitées. 


Productions  du  sol 

L'agriculture  est  la  principale  occupation  de  la  po- 
pulation ukrainienne. 

D'après  les  statistiques  officielles,  la  population  ru- 
rale s'adonnant  à  la  culture  de  la  terre  en  Ukraine, 
serait  de  85  0/0,  c'est-à-dire  qu'en  Ukraine,  il  y  aurait 
34.200.000  habitants  se  livrant  à  l'agriculture.  La  den- 
sité de  la  population  agricole  de  l'Ukraine  serait  donc 
sur  un  kilomètre  carré  de  46,7,  alors  qu'en  Allemagne 
cette  même  densité  est  à  peu  près  de  50  et  en  France 
inférieure  à  50. 

La  raison  en  est  peut-être  l'excellente  fertilité  de 
la  terre  dont  les  3/4  sont  formés  de  terre  noire  ou 
terreau  de  toute  première  qualité.  Aussi  la  surface 
cultivée  est-elle  de  45  millions  d'hectares,  c'est-à-dire 
53  0/0  de  tout  le  territoire  ukrainien,  alors  que  pour 
toute  la  Russie  européenne,  ce  pourcentage  n'est  que 
de  26,2.  Cette  proportion  de  terre  cultivée  varie  sui- 
vant les  régions  ;  elle  est  pour  Khcrson  de  78  0/0  ; 
Poltava,  de  75  0/G,  Koursk,  74  0/0;  Kharkov,  71  0/0; 
Voronège  et  Ekaterinoslav,  de  69  0/0;  Podolie  et 
Tauride,  de  64  0/0;  Kiev,  57  0/0;  Tchernigov,  55  0/0. 


70  L'UKRAINE 


Il  est  diilicile  de  savoir  le  chilîre  exact  de  la  pro- 
duction agricole  de  l'Ukraine.  Cependant,  on  peut  dire 
que  la  moyenne  annuelle  était  au  cours  des  années 
1911-1915  de  275.000.000  de  quintaux  de  céréales 
(froment,  seigle,  orge)  100.000.000  de  quintaux  de  bet- 
teraves à  sucre,  60.000.000  de  quintaux  de  pommes 
de  terre,  87.000.000  de  kilogrammes  de  tabac, 
6,000.000  de  quintaux  de  graines  oléagineuses, 
LOOO.OOO  de  quintaux  de  chanvre,  600.000  quintaux 
de  lin.  L'Ukraine  surpasse  par  sa  production  de  cé- 
réales tous  les  autres  pays  de  l'Europe. 
'  Les  méthodes  agricoles  des  paysans  ukrainiens 
sont  des  plus  primitives  et  ne  diffèrent  en  rien  de 
celles  employées  il  y  a  cent  ans.  Aussi,  il  n'est  nulle- 
ment douteux  que  le  jour  où  l'Ukraine  fournira  à  ses 
cultivateurs  le  moyen  d'intensifier  leurs  cultures  par 
des  procédés  plus  modernes,  la  production  agricole 
sera  plus  que  décuplée.  Dès  que  la  vie  normale  aura 
repris  son  cours  dans  ces  vastes  steppes,  les  machines 
agricoles  et  les  instruments  aratoires  y  seront  achetés 
en  grande  quantité  et  l'on  y  verra  alors  des  moissons 
de  plus  en  plus  abondantes  et  des  récoltes  pouvant 
satisfaire  les  besoins,  même  de  l'Europe  occidentale. 
En  même  temps  que  le  seigle,  le  froment  et  l'orge, 
les  paysans  ukrainiens  cultivent  l'avoine,  le  millet, 
le  sarrasin,  les  pommes  de  terre,  les  pois,  les  lentil- 
les, le  tabac,  et  les  betteraves  à  sucre. 


PRODUCTIONS    DU    SOL  71 

La  sylviculture  n'est  pas  encore  très  développée  en 
Ukraine.  La  superficie  boisée  ne  dépasse  pas  110.000 
kilomètres  carrés,  c'est-à-dire  13  0/0  de  la  superficie 
totale,  alors  qu'en  France  ce  pourcentage  est  de  15, 
en  Allemagne  de  25,9,  en  ancienne  Hongrie  de  27,4, 
en  ancienne  Autriche,  de  32,7  et  en  Russie  de  38,8. 
La  principale  cause  se  trouve  dans  le  fait  que  le  ter- 
ritoire ukrainien  est  formé  surtout  de  vastes  steppes 
plus  propres  à  l'agriculture  qu'à  la  sylviculture. 

Les  régions  les  plus  boisées  sont  la  Bukovine  avec 
42  0/0  (district  de  Kimpolung  78  0/0)  la  Polissya  avec 
38,2  0/0,  la  Volhynie  avec  29,6  0/0,  la  Galicie  avec 
25,4  0/0  et  Grodno  avec  25,5  0/0. 

En  1900,  la  Galicie  a  fourni  3.660.000  mètres  cubes 
de  bois  ouvrable  et  une  quantité  à  peu  près  égale  de 
bois  de  chauffage,  dont  un  million  et  demi  a  été  ex- 
porté. L'exportation  de  bois  de  la  Polissya  est  annuel- 
lement d'environ  900.000   mètres   cubes. 

Mais  lorsque  le  peuple  ukrainien  aura  été  doté 
d'une  réforme  agraire  qui  présidera  à  une  meilleure 
répartition  des  terres,  il  ne  fait  aucun  doute  que  la 
sylviculture  sera  l'objet  d'un  très  grand  développe- 
ment; elle  deviendra  plus  rationnelle  et  l'Ukraine 
ouvrira  un  marché  de  bois  mieux  fourni  et  plus  avan- 
tageux. 

La  culture  maraichèrc  est  peu  développée  en  Ukrai- 
ne. Si  l'on  en  excepte  les  petits  potagers  qui  se  trou- 


72 


L  l'KHAIM-: 


vent  derrière  eli;u|ue  maison  et  les  champs  de  melon 
dans  les  steppes,  on  ne  voit  pas  de  grandes  cultures 
maraîchères,  même  dans  le  voisinage  des  grandes  vil- 
les, sauf  dans  les  régions  de  Tchernigof,  d'Odessa  et 
sur  le  Dniè])re,  dans  l'ancien  pays  de  Zaporogs  (01e- 
shki,  etc...).  Là  seulement  les  légumes  sont  cultivées 
sur  une  grande  échelle  tant  pour  l'exportation  que 
pour  les  besoins  locaux. 

Mais,  comme  pour  la  sylviculture,  dès  que  la  loi 
agraire  aura  donné  à  chaque  paysan  le  lopin  de  terre 
auquel  il  a  droit,  beaucoup  de  cultivateurs  s'efïorce- 
ront  de  tirer  de  cette  culture  tous  les  bénéfices  qu'elle 
X>eut  leur  donner. 

h'arboriciilliire  par  contre,  s'y  fait  sur  une  assez 
vaste  échelle.  En  Podolie,  les  vergers  seuls  représen- 
tent une  surface  de  26.000  hectares  avec  une  produc- 
tion d'environ  300.000  quintaux  de  fruits  et  8.000 
quintaux  de  noix  et  d'amandes.  Mais  c'est  à  lalta,  en 
Tauride,  que  la  production  annuelle  atteint  le  chif- 
fre le  plus  élevé  :  elle  dépasse  260.000  quintaux  de 
fruits  et  40.000  quintaux  de  noix.  C'est  dans  cette  ré- 
gion que  l'on  trouve  les  plus  belles  espèces  de  pom- 
mes, de  poires,  de  prunes,  de  pêches,  d'abricots  et  en 
général  les  meilleurs  fruits  de  toute  l'Europe. 

Dans  les  régions  de  Kiev  et  de  Volhynie,  on  trouve 
les  espèces  de  pommes  et  de  poires  des  pays  septen- 
trionaux,  et  de   délicieuses  cerises.   Les   environs   de 


PRODUCTIONS  DU   SOL  73 

Kherson  et  d'Ekaterinoslav  et  toute  la  vallée  du  Dniè- 
pre  produisent  des  abricots  renommés.  La  région  de 
Kherson  possède  également  de  nombreux  vignobles 
dont  la  superficie  totale  est  d'environ  7.000  hectares; 
mais  la  plus  riche  en  raisin  est  la  Tauride,  dont  la 
production  de  vin  est  annuellement  de  250.000  hecto- 
litres. Le  sud  de  l'Ukraine  donne  bon  an,  mal  an,  envi- 
ron 1.000.000  de  quintaux  de  raisin  fournissant  près 
de  500.000  hectolitres  de  vin. 

L'Apiculture  est  très  en  faveur  chez  les  paysans 
ukrainiens.  La  production  totale  annuelle  de  l'U- 
kraine (sans  la  Galicie)  était  en  1910  de  125.000  quin- 
taux de  miel  et  de  13,700  quintaux  de  cire,  c'est-à- 
dire  38  et  34  0/0  de  la  production  totale  de  l'ancien 
Empire  russe. 

Les  principaux  centres  d'apiculture  sont  le  Kouban 
avec  326.000  ruchers,  Poltava  avec  305.000,  Tcher- 
nigof  avec  283.000,  Kharkof  avec  246.000,  Kiev  avec 
242.000,  la  Volhynie  et  la  Podolie  avec  chacune 
206.000. 

L'élevage  de  bétail  se  fait  tout  à  fait  en  grand  en 
Ukraine.  On  peut  évaluer  sa  richesse  en  bétail  à  26 
millions  de  têtes.  Les  principaux  centres  d'élevage 
sont  en  Tauride  et  dans  le  Kouban  :  En  Tauride,  il  y 
a  pour  1.000  habilants  300  chevaux,  280  bêtes  à  cor- 
nes, 620  moutons,   110  porcs  et  dans  le  Kouban  340 


74  l'ukraine 


chevaux,  540  bêtes  à  cornes,  800  moutons  et  210^ 
porcs. 

Juscju'au  milieu  du  xix'  siècle,  l'Ukraine  méridio- 
nale, particulièrement  Ekaterinoslav,  la  Tauride  et 
le  Kouban,  était  le  marché  lainier  le  plus  abondant 
du  monde  entier.  A  cette  époque,  la  concurrence  aus- 
tralienne s'y  est  fait  considérablement  sentir  et  à 
l'heure  actuelle,  le  marché  ukrainien  a  perdu  quelque 
peu  de  son  importance. 

L'élevage  de  la  volaille  est  une  des  principales  res- 
sources de  la  population  agricole  ukrainienne  :  l'ex- 
portation des  poulets,  oies,  canards,  etc.,  des  œufs 
et  des  plumes  est  très  importante  et  se  dirige  non  seu- 
lement vers  la  Russie  et  la  Pologne,  mais  aussi  vers 
l'Autriche,  l'Allemagne  et  l'Angleterre.  En  1905,  par 
exemple,  l'Ukraine  exporta  plus  de  600.000  quintaux 
d'œufs. 


Richesses  du  sous-sol 

La  production  minérale  représente  une  grande  ri- 
chesse pour  l'Ukraine  qui,  si  elle  obtient  la  possibilité 
d'exploiter  dans  une  plus  large  mesure  le  Plateau  du 
Donetz,  les  Carpathes  et  le  Caucase,  pourra  devenir 
un  pays  aussi  industriel  que  l'Allemagne  et  l'Angle- 
terre. 


RICHESSES  DU  SOL  75 

L'or  est  peu  abondant  :  on  n'en  trouve  que  quel- 
ques traces  dans  les  quartz  du  plateau  du  Donetz. 

L'argent  s'y  trouve  plus  souvent,  surtout  dans  le 
Kouban,  le  Terek  et  les  régions  du  Caucase  où,  en 
1910,  l'extraction  fournit  environ  300.000  quintaux  de 
minerai  d'argent.  Les  mêmes  régions  donnèrent,  la 
même  année,   11.000  quintaux  de  plomb. 

Le  zinc  s'y  trouve  en  petite  quantité,  mais  par  con- 
tre le  mercure  représente  une  production  appréciable, 
surtout  à  Mikitivka  dans  le  Donetz  où,  en  1905,  il  fut 
extrait  plus   de   320.000   kilogrammes. 

Le  cuivre  se  trouve  surtout  dans  le  Donetz,  dans 
les  gouvernements  de  Kherson  et  de  Tauride  et  sur- 
tout dans  le  Caucase  dont  la  production  en  1910,  était 
évaluée  à  81.000  quintaux,  c'est-à-dire  31  0/0  de  la 
production  totale  de  la  Russie. 

La  production  du  manganèse  est  encore  plus  im- 
portante; pour  l'année  1907  elle  a  été,  dans  le  bassin 
inférieur  du  Dnièpre,  de  3.245.000  quintaux  ou  32  0/0 
de  la  production  totale  de  la  Russie  et  le  sixième  de  la 
production  mondiale.  Sous  ce  rapport,  elle  occupe  le 
troisième  rang  et  se  place  après  le  Caucase  et  les  In- 
des. 

Il  existe  des  gisements  de  fer  un  peu  sur  tout  le 
territoire  ukrainien,  dans  le  Caucase,  en  Volhynie,  à 


76  L'rKUAINK 

l'ouest  de  Kiev  et  dans  les  Caipatlies.  Mais  il  n'y  a 
que  ceux  du  Donetz  et  de  Kertch  qui  ont  été  jusqu'a- 
lors exploités.  Leur  production  a  été  en  1907,  de  39,9 
millions  de  quintaux;  en  1908,  de  40,8  millions;  en 
1909,  de  39  milliards;  en  1910,  de  43,4  millions;  en 
1911,  de  51,1  millions.  Ces  chifîres  prouvent  surabon- 
damment que  la  richesse  en  fer  de  l'Ukraine  est  in- 
commensurable. 

L'Ukraine  possède  également  dans  le  Donetz  un  des 
plus  grands  bassins  houillers  de  l'Europe,  puisque  sa 
superficie  est  de  23.000  kmq.  En  1911,  la  production 
du  charbon  de  ce  bassin  s'est  élevée  à  203  millions 
de  quintaux  auxquels  il  faut  ajouter  31  millions  de 
quintaux  d'anthracite  et  près  de  34  millions  de  coke. 

Quant  aux  pétroles,  napthes  et  autres  huiles  miné- 
rales, l'Ukraine  est  une  des  contrées  du  monde  qui  en 
produit  le  plus,  bien  que  dans  les  Carpathes  notam- 
ment, il  y  ait  de  grandes  mines  de  naphte  dont  beau- 
coup ne  sont  pas  encore  ouvertes.  La  moyenne  an- 
nuelle de  la  production  pétrolière  est  pour  les  Carpa- 
thes, de  12.000.000  de  quintaux  et  pour  le  Kouban,  de 
15.000.000  de  quintaux. 

Les  mines  de  sel  sont  tout  aussi  importantes  que 
les  gisements  de  fer  et  de  pétrole.  Leur  production 
s'éleva,  en  1901,  à  179.000.000  de  quintaux. 


CHASSE  ET  PÊCHE  77 


Chasse  et  Pêche 

La  chasse  joue  un  rôle  presque  insignifiant  dans  la 
vie  économique  de  l'Ukraine,  car  elle  est  restée  jus- 
qu'à maintenant  le  monopole  des  classes  élevées.  En 
190G,  il  a  été  tué  en  Galicie,  partie  très  giboyeuse  de 
l'Ukraine,  500  cerfs,  10.000  chevreuils,  2.000  san- 
gliers, 9.000  renards,  90.000  lapins,  8.000  faisans, 
50.000  perdrix,  30.000  cailles,  10.000  bécasses,  alors 
qu'en  Bohême,  par  exemple,  réputée  moins  giboyeuse 
que  l'Ukraine,  il  a  été  tué,  la  même  année,  800.000  la- 
pins et  plus  d'un  million  de  perdrix. 

Il  importerait  grandement  que  le  gouvernement  qui 
présidera  désormais  aux  destinées  du  pays  prenne 
des  mesures  pour  imprimer  un  plus  grand  essor  à 
l'industrie  de  la  chasse. 

Tout  le  monde  y  trouvera  son  avantage;  le  cultiva- 
teur verra  diminuer  sur  ses  terres  les  déprédations 
commises  par  les  loups,  les  renards  et  autres  carni- 
vores qui  pullulent  dans  les  steppes;  le  peuple  et  les 
finances  de  l'Etat  retireront  de  très  appréciables  béné- 
fices de  la  vente  du  gibier. 

La  pêche  est  plus  pratiquée  et  se  fait  en  haute  mer, 
dans  les  eaux  douces,  dans  les  lacs  et  dans  les  étangs. 

La  pêche  en  haute  mer  fournit  annuellement  pour 
la  seule  Mer  Noire  environ  24  millions  et  demi  de  ki- 
logrammes  de   poissons,   maquereaux,    sardines,    ha- 


78  L'UKRAINE 

rengs  et  esturgeons  et  se  pratique  principalement  en 
Bessarabie,  dans  le  Kherson  et  en  Tauride.  Dans  la 
Mer  d'Azov,  la  pêche  est  encore  plus  abondante  et 
donne  plus  de  140  millions  de  kilogrammes.  Cepen- 
dant, agriculteur  avant  tout,  le  peuple  ukrainien  se 
livre  peu  à  la  pèche  qui  n'occupe  que  0,2  0/0  de  la 
population. 


Industrie 


L'industrie  ukrainienne  est  à  une  époque  de  tiau 
stion;  jusqu'alors  peu   développée,   elle   fera  de  l'U- 
kraine, dès  que  la  vie  normale  y  reprendra  son  cours, 
un  des  pays  européens  les  plus  industriels. 

La  confection  est  en  train  de  subir  une  grande 
transformation  :  à  Poltava,  la  couture  et  la  mode  occu- 
pent déjà  plus  de  10.000  familles. 

La  cordonnerie  se  pratique  surtout  dans  les  gou- 
vernements de  Poltava,  de  Kiev  et  en  Galicie. 

La  menuiserie  a  des  ateliers  aussi  bien  dans  les 
villages  que  dans  les  villes,  parce  qu'elle  doit  satisfaire 
les  besoins  des  paysans  comme  des  citadins.  Mais  la 
menuiserie  artistique  dont  les  œuvres  sont  parfois 
admirables  se  pratique  surtout  dans  la  contrée 
d'Hutzul. 


INDUSTRIE  79 


La  tonnellerie,  de  même  que  la  construction  des 
tateaux  en  bois,  est  pratiquée  dans  les  districts  de 
Poltava  où  elle  occupe  3.700  familles,  de  Kharkof, 
Polissya,  Kiev,  Tchernigov,  Volhynie  et  dans  la  con- 
trée d'Hutzul. 

La  vannerie  est  surtout  développée  dans  la  contrée 
de  Poltava  où  elle  nourrit  plus  de  1.000  familles,  en 
Podolie,  Kherson,  et  à  Kiev. 

La  céramique  grâce  aux  nombreux  gisements  de 
substances  minérales  (kaolin)  découverts  récemment 
est  en  train  de  prendre  un  sérieux  développement 
dans  les  régions  de  Poltava,  Tchernigov,  Kharkov  et 
Kiev.  La  Galicie,  le  gouvernement  de  Poltava  et  la 
région  d'Hutzul  sont  renommés  depuis  longtemps 
déjà  par  leur  poterie.  11  y  a  sur  tout  le  territoire 
ukrainien  12  faïenceries,  30  verreries  et  12  fabriques 
de  ciment. 

La  cordonnerie  occupe  9.000  familles  dans  le  gou- 
vernement de  Poltava;  les  deux  villes  d'Okhtirka  et 
Kotelva  dans  celui  de  Kharkov;  12.000  cordonniers 
dans  celui  de  Voronège;  8.000  dans  la  région  ukrai- 
nienne de  Koursk. 

Les  fabriques  et  les  usines  sont  fort  peu  nombreu- 
ses en  Ukraine. 

L'industrie  du  coton  ne  compte  que  quelques   fa- 


80  l/UK  HAINE 


briques   dans   la   région   du    Don   (Roslov,   Nakhiche- 
van)  et  celle  d'Ekalerinoslav  (PavloUichkas). 

L'industrie  du  lin  et  du  chanvre  n'existe  que  dans 
le  gouvernement  de  Tchernigov. 

La  meunerie  compte  un  giand  nombre  de  petits 
moulins  à  eau  ou  à  vent,  ôO.OOO  environ.,  et  800  grands 
moulins.  Il  y  a  des  minoteries  à  vapeur  à  Kharkov, 
Kiev,  Poltava,  Kremintchoug,  Odessa,  Nikolaïev,  Me- 
litopol,  Brody  et  Tarnopol. 

L'industrie  de  l'alcool  est  assez  développée.  En 
1912-1913,  elle  a  donné  plus  de  4.000.000  d'hectolitres 
d'alcool. 

L'industrie  siicrière  est  une  des  plus  importantes 
de  l'Europe.  En  1914,  il  y  avait  sur  tout  le  territoire 
ukrainien  223  fabriques  de  sucre  qui  se  répartissaient 
ainsi  :  75  dans  le  gouvernement  de  Kiev,  IG  en  Vol- 
hynie,  52  en  Podolie,  1  en  Bessarabie,  2  dans  celui  de 
Cherson,  23  dans  celui  de  Koursk,  13  dans  celui  de 
Poltava,  29  dans  celui  de  Kharkov,  12  dans  celui  de 
Tchernigov.  La  production  sucrière  de  l'Ukraine  est 
annuellement  d'environ  1.700.000  quintaux  dont  la 
valeur  approximative  est,  sans  accise,  de  700.000.000 
de  francs.  Kiev,  la  ville  des  raffmeurs,  est  un  des  plus 
grands  marchés  de  sucre  de  l'Europe. 


COMMERCE   EXTÉRIEUR  81 

Cette  industrie  progresse  si  rapidement  que,  de  1905 
à  1915,  elle  s'est  accrue  de  100  0/0. 

En  1911,  l'Ukraine  a  produit  24.625.000  de  quintaux 
de  fer  brut,  c'est-à-dire  67,4  0/0  de  la  production  to- 
tale de  la  Russie;  en  1912,  le  pourcentage  est  monté 
jusqu'à  70  0/0. 

Le  fer  forgé  sort  des  usines  de  Krivrog  et  d'Ekateri- 
noslav. 


Commerce  extérieur 

Le  mouvement  commercial  de  l'Ukraine  est,  com- 
parativement à  celui  des  contrées  de  l'Europe  occi- 
dentale, d'importance  inférieure;  mais  il  est  appelé,  à 
bref  délai,  à  un  développement  considérable. 

Actuellement,  la  première  place  dans  l'exportation 
ukrainienne  est  occupée  par  les  céréales  et  les  autres 
produits  de  la  terre. 

L'exportation  pour  les  9  gouvernements  de  l'Ukrai- 
ne se  décompose  de  la  manière  suivante  :  céréales, 
1.000  millions  de  francs  (55  0/0  du  total);  bétail  (éle- 
vage, volaille)  150  millions  de  francs  (9  0/0  du  total); 
sucre,  425  millions  de  francs  (22  0/0  du  total)  ;  fer 
brut  et  forgé  200  millions  de  francs  (12  0/0  du  tolal)  ; 
minerai,  25  millions  de  francs  (  1  à  2  0/0  du  total)  ;  au- 
tres produits  40  millions  de  francs  (2  à  3  0/0  du  to- 

7 


82  L'UKUAlNli 


Presque  toute  l'exportation  des  céréales  de  l'L  Ici  ai- 
ne se  fait  au  delà  des  frontières  de  l'ancienne  Russie, 
en  Europe  occidentale,  ainsi  que  celles  des  produis 
de  l'élevage  :  œufs,  volailles,  peaux,  etc...  11  n'y  a  que 
le  bétail  destiné  à  la  boucherie,  et  surtout  les  bêtes  à 
cornes,  qui  s'est  dirigé  jusqu'ici  vers  le  Nord  de  la 
Russie  et  en  majeure  partie  vers  la  Pologne. 

Quant  à  l'exportation  des  autres  denrées,  le  sucre, 
par  exemple,  c'est  la  Russie  qui  offre  le  marché  le 
plus  important.  L'exportation  totale  du  sucre  au  delà 
des  frontières  de  l'Ukraine  atteint  jusqu'à  9  à  10  mil- 
lions de  quintaux  par  année  et  seulement  un  cimiuiè- 
me  de  cette  exportation  s'est  dirigé  au  delà  des  fron- 
tières de  l'ancienne  Russie,  principalement  sur  les 
marchés  très  constants  et  très  avantageux  de  la  Perse 
et  de  la  Turquie.  Néanmoins,  quand  la  campagne 
sucrière  se  montre  très  abondante,  l'Ukraine  exporte 
ses  sucres  même  en  Europe  occidentale,  jusqu'en 
Angleterre,  et  à  des  prix  extrêmement  avantageux 
pour  l'acheteur.  Le  reste  du  sucre  est  dirigé  vers  le 
Nord  et  vers  l'Est  de  la  Russie. 

L'Ukraine  exporte  de  grandes  quantités  de  fer;  la 
plupart  du  temps  c'est  sous  forme  de  fonte,  de  fer 
brut  et  de  fer  forgé.  Presque  tout  le  fer  exporté  et 
presque  toute  la  fonte  sont  vendus  dans  les  limites 
du  territoire  de  l'ancienne  Russie  et  en  Pologne,  car 
rUla-aine  n'a  eu  jusqu'alors  aucun  accès  sur  les  mar- 
chés de  l'Europe  occidentale.  Cependant,  au  cours  des 


COMMERCE  EXTÉRIEUR  83 

années  qui  ont  précédé  la  guerre,  elle  commençait  à 
diriger  son  fer  vers  les  Balkans,  la  Turquie,  l'Egypte, 
et  même  l'Italie. 

L'importation  de  l'Ukraine  consiste  en  objets  ma- 
nufacturés et  surtout  en  objets  de  l'industrie  textile, 
lesquels  forment,  comme  les  céréales  pour  l'exporta- 
tion, plus  de  la  moitié  des  produits  importés. 

L'importation  des  neuf  gouvernements  de  l'U- 
kraine se  décompose  ainsi  :  Tissus,  étoffes,  vêtements 
et  autres  produits  de  l'industrie  textile,  700  millions 
de  francs;  cuirs  et  objets  en  cuir,  60  à  70  millions  de 
francs;  b)  coloniales  (thé,  café,  épices),  60  mitions  de 
francs;  c)  vins,  30  raillions  de  francs;  d)  huiles,  30 
millions  de  francs;  naphte  et  dérivés,  70  millions  de 
francs;  bois,  30  millions  de  francs;  machines  et  autres 
instruments  en  fer,  60  millions  de  francs;  produits  di- 
vers, 100  millions  de  francs. 

Les  objets  en  cuir,  les  machines  de  toutes  sortes, 
les  produits  coloniaux,  les  vins,  sont  importés  de  l'Eu- 
rope occidentale  ou  par  son  intermédiaire.  L'Ukraine 
n'importe  de  la  Russie  et  de  la  Pologne  que  les  tissus, 
les  étoffes  et  autres  produits  de  l'industrie  textile.  Si 
l'Ukraine  ne  parvient  pas  à  créer  sa  propre  industrie 
textile,  elle  achètera  désormais  ces  produits  à  l'Eu- 
rope occidentale  qui  les  lui  fournira  à  un  prix  infé- 
rieur et  d'une  qualité  supérieure  à  ceux  que  la  Russie 
et  la  Pologne  lui  vendaient. 

La  balance  du  commerce  extérieur  de  l'Ukraine  a 


84  L'UKllAINIi 


loujours  élc  lic-s  active  el  l'cxjjorlalion.  s'est  iiKjiitrée 
jus(jii'à  maintenant  plus  iinportante  que  rimi)orta- 
tion  :  i)()ur  les  années  1909-1913,  elle  s'est  cliinrée  |)ar 
600  millions  de  francs.  Mais  elle  peut  facilement  at- 
teindre jus(iu'à  1  milliard  à  cause  de  l'exportation  de 
blé  et  de  naphte  qui  ne  manquera  pas  d'augmenter 
dans  des  i)roportions  assez  considérables. 


Littérature 


Riche  de  tous  les  biens  de  la  terre,  l'Ukraine  ne 
pouvait  manquer  d'être,  dès  les  premiers  jours  de  son 
existence,  en  même  temps  qu'un  grand  marché  com- 
mercial, un  grand  centre  intellectuel.  Kiev,  avec  son 
Académie  fondée  en  1()32,  devint  un  foyer  de  lumière 
non  seulement  pour  l'Ukraine,  mais  pour  tous  les 
pays  slaves. 

Malgré  les  nombreux  obstacles  qui  lui  ont  été  sus- 
cités au  cours  de  tous  les  siècles,  la  littérature  ukrai- 
nienne se  révèle  aussi  riche  que  variée.  Elle  comprend 
tous  les  genres,  aussi  bien  dans  le  domaine  de  la 
poésie  que  dans  celui  de  la  prose. 


POÉSIE  *  85 


Poésie  épique 

La  poésie  épique  voit,  du  ix"  au  xiir  siècle,  toute 
une  série  de  chants  héroïques  qui,  recueihis  par  les 
professeurs  Dragomanov  et  Antonovitch,  font  revivre 
le  héros  populaire  Ivanko  qui  tantôt  fait  le  siège 
de  Constantinople,  tantôt  livre  un  combat  singulier 
au  tsar  turc. 

Mais  l'œuvre  la  plus  célèbre  dans  ce  genre,  est 
«  Le  Chant  des  troupes  d'Igor  »  qui  rappelle  assez  no- 
tre <(  Chanson  de  Roland  ».  L'auteur  dont  le  nom  n-'est 
pas  arrivé  jusqu'à  nous,  raconte  en  une  langue  forte 
et  savoureuse,  la  campagne  d'un  prince  Ruthène  con- 
tre les  Polovtsy,  tribu  non-slave  qui  menaçait  alors 
la  frontière  orientale  de  l'Ukraine, 

Du  XIII'  au  xviii"  siècle,  ces  chants  héroïques  de- 
viennent historiques.  Le  peuple  ukrainien  s'en  em- 
pare pour  célébrer  le  héros  national,  le  cosaque  Baïda 
supplicié  par  les  Turcs  à  Constantinople  et  qui,  pré- 
cipité d'une  tour,  s'accroche  à  un  pieu  en  tombant, 
et  tue  à  coups  de  flèches  le  sultan  venu  assister 
à  son-  exécution. 

M.  Rambaud  a  réuni  tous  ces  chants  en  un  superbe 
volume  dont  la  lecture  est  du  plus  haut  intérêt. 

A  partir  du  xviii'  siècle,  la  poésie  épique  semble 
disparaître  pour  faire  place  à  la  poésie  lyrique. 


8b  L'UKRAINE 


Poésie  lyrique 

La  poésie  lyrique,  née  à  la  lin  du  xviii"  siècle,  trou- 
ve son  premier  véritable  interprète  dans  Ghachkevitch 
qui  composa  en  1834  son  premier  almanach  littéraire 
«  L'Aurore  »  que  la  censure  de  Lemberg  interdit  et 
en  1837  son  second  «  Le  Naïade  du  Dn-ièpre  >  qui  ne 
put  paraître  qu'en  1848. 

Joseph  Fedkovitch  par  ses  chants  où  il  glorifie  la 
vie  des  ancêtres,  sut  intéresser  les  cultivateurs,  les 
pâtres  et  les  villageois. 

Mais  tout  le  talent  de  Ghachkevitch  et  de  Fedko- 
vitch disparaît  devant  le  génie  de  Taras  Chevtchenko 
(1814-1861)  qui  est,  à  juste  titre,  considéré  comme  le 
plus  grand  poète  de  toute  la  littérature  ukrainienne. 

Né  dans  une  chaumière  de  paysans  à  Morynsti,  dans 
le  gouvernement  de  Kiev,  il  n'a  connu  que  quelques 
années  de  liberté  et  de  bonheur.  Serf  jusqu'à  24  ans, 
prisonnier  politique  en  Sibérie  pendant  dix  ans,  sur- 
veillé par  la  police  de  Petrograd  durant  trois  années 
et  demie,  il  mourut  le  24  février  1861,  à  l'âge  de  47 
ans.  Mais  enfant  du  peuple,  il  en  a  été  le  chef  et  il  en 
reste  l'idole.  Ses  funérailles  eurent  lieu,  à  sa  deman- 
de, sur  les  hauteurs  qui  regardent  le  Dnièpre,  au 
milieu  de  plus  de  60.000  assistants  appartenant  à  tou- 
tes les  classes  de  la  société. 

Son  premier  recueil  de  poésies  lyriques  «  Kobsar  » 


POÉSIE  87 

(le  Barde)  parût  en  1840  et  fut  suivi,  un  an  après, 
par  les  «  Haïdamaks  »  qui  faisaient  revivre  les 
paysans  ukrainiens  révoltés  contre  leurs  tyrans. 
L'impression  fut  extraordinaire  et,  du  coup.  Taras 
Chevtchenko  devient  le  poète  national.  Personne  en 
Ukraine  n'avait  avant  lui  parlé  une  langue  plus  pure, 
n'avait  versé  de  larmes  plus  vraies  sur  le  malheur  de 
sa  patrie;  aucun  poète  n'avait  atteint  les  hauteurs  de 
son  génie. 

Ses  plus  belles  poésies  sont  :  «  Le  Songe  »,  «  Le 
Caucase  »,  «  A  Osnovianenko  »,  «  A  l'Eternelle  mémoi- 
re de  Kotlarevsky  »,  «  Aux  Vivants,  aux  Morts  et  à 
ceux  qui  doivent  naître  », 

Ses  plus  beaux  poèmes  sont  :  «  Les  Haïdamaks  », 
«Maria»,  «Naimytchka  »  et  «  Kateryne  »  qui  est  l'his- 
toire d'une  fille  du  peuple  délaissée  par  un  officier 
russe. 

Pantélémon  Koulich  (1815-1897),  s'inspirant  de  la 
littérature  européenne,  traduisit  d'abord  les  poèmes 
de  Byron,  puis  se  livrant  à  l'inspiration  poétique, 
écrivit  des  poésies  imitées  de  V.  Hugo  qui  forment 
plusieurs  recueils,  dont  «  Les  Aubes  »  qui  se  recom- 
mandent par  le  plus  pur  lyrisme, 

Michel  Starytsky,  écrit  des  poésies  d'une  valeur 
réelle  pour  protester  contre  l'oppression  nationale  et 
sociale, 

Larissa  Kvitka,  sous  le  pseudonyme  de  «  Lesia  Ou- 
krainska  »  exprime  avec  un  charme  tout  féminin,  une 


88  l/lKHAINI-: 

linesse  et  une.  sensibilité  exquises,  les  sentiments  de 
son  âme  rêveuse  et  mélancolique.  Ses  meilleures  poé- 
sies sont  :  «Sainte  Nuit»,  «Contra  spem  spero^s  «A 
mes  compagnons  »,  «  Le  Poète  ». 

Khrystia  Allchevska,  par  la  pureté  de  la  forme  et 
O.  Oies,  par  la  puissance  du  verbe,  mériteraient  d'être 
conn.us  en  dehors  des  frontières  de  l'Ukraine. 

Parmi  les  poètes  dont  les  œuvres  peuvent  entrer 
dans  ce  genre,  il  faut  citer:  Kollarevski  avec  son  Ode 
au  Prince  Kourakine;  Constantin  Pouzyme  (1790- 
1850)  avec  le  Paysan  petit  russien;  Alexe  Storojenko 
(1805-1874)  avec  son  «  Cygne  »  où  il  parle  du  poète 
qui  meurt  fièrement  sans  attendre  les  applaudisse- 
ments de  la  foule;  Samilenko,  le  traducteur  de  Mo- 
lière; Hrvntchenko,  le  Déroulède  ukrainien,  etc. 


Poésie  satirique 

La  poésie  satirique  fut  d'abord  cultivée  par  quel- 
ques poètes  inconnus  dans  «  Les  Psaumes  laïques  », 
«  La  Victoire  de  Beresteczko  »,  «  Lamentations  de  la 
Petite  Russie  sur  les  Polonophiles  »,  «  Mazepa  et 
Italie  »,  «  L'introduction  du  servage  en  Ukraine  », 
«La  conversation  de  la  Grande  Ri  ssie  avec  la  Petite». 

Mais  le  premier  vrai  poète  satirique  de  l'époque  mo- 


FABLES  89 

derne  est  Jean  Kotlarevsky,  appelé  avec  raison  le  Père 
de  la  littérature  moderne  ukrainienne.  Elève  du  sémi- 
naire de  Poltava,  militaire,  puis  fonctionnaire  civil, 
il  entra  dans  la  maçonnerie  et,  peu  de  temps  après, 
publia  en  langue  ukrainienne  son  «  Enéide  travestie  ». 
C'est  une  satire  qui,  dans  une  grande  perfection  de 
forme  et  une  langue  vive  et  savoureuse,  trace  le  ta- 
bleau d'un  Olympe  mais  d'un  Olympe  aux  pots  de 
vin  et  aux  intrigues  bureaucratiques.  Elle  eut  trois 
éditions  du  vivant  de  son  auteur  et,  aujourd'hui,  elle 
en  compte  plus  de  trente.  Napoléon  en  quittant  Mos- 
cou en  mit,  dit-on,  un  volume  dans  sa  cantine. 


Fables 


Le  premier  fabuliste  ukrainien  est  Pierre  Artemov- 
sky  Houlak  (1790-1866)  qui  s'est  rendu  célèbre  par  sa 
fable  «  Le  Maître  et  le  Chien  »,  protestation  énergique 
contre  le  servage  auquel  était  soumis  le  peuple  ukrai- 
nien. La  littérature  ukrainienne  compte  d'autres  fa- 
bulistes comme  Leonid  Glibov  (1827-1893)  par  exem- 
ple, mais  aucun  n'a  laissé  d'œuvres  qui  méritent  de 
passer  à  la  postérité. 

Parmi  les  autres  poètes  ukrainiens,  car  il  faut  bien 
se  borner,  il  convient  de    citer    Victor    Zabillo,    Ivan 


90  l'ukraine 


Franko,  W.  Stchourat,  Bogdan  Lepky,  qui  ont  laissé 
des  poésies  charmantes  de  grâce  et  de  finesse.  Et  ac- 
tuellement, l'Ukraine  voit  naître  de  nombreux  poètes 
comme  Tcherniavsky,  Vorony  et  beaucoup  d'autres 
dont  les  poésies  sonnent  gaîment. 


Théâtre 


Le  théâtre  fait  son  apparition  dans  la  littérature 
ukrainienne  par  des  Mystères,  comme  «  La  Descente 
de  Jésus  aux  Enfers  »  et  des  comédies  satiriques  con- 
tre les  prêtres,  telles  que  :  «  Le  Pope  Negretzky  ». 
Dolhalewsky  a  laissé  dans  ce  genre,  des  pièces  assez 
connues. 

Mais,  pour  avoir  des  pièces  de  réelle  valeur,  il  faut 
attendre  l'auteur  de  !'«  Enéide  travestie  »,  Jean  Kot- 
larevsky,  qui  écrivit  deux  comédies  charmantes  : 
«  Natalka  Poltavka  »  et  «  Le  Soldat  sorcier  ».  La  pre- 
mière a  de  réelles  qualités  scéniques  qui  lui  permet- 
tent de  faire  recette  encore  aujourd'hui.  Toutes  les 
deux  charment  par  la  vérité  des  types,  la  vivacité  du 
dialogue  et,  surtout,  par  leur  langue  vigoureuse  et 
imagée. 

Basile  Gogol  (1825),  père  de  Nicolas,  a  laissé 
une  bonne  comédie  «  Le  Rustre  »  et  une  de  valeur 
moindre  «  Les  Sortilèges  »  ;  Jacques  Kouharenko  en 
a  écrit  également  plusieurs. 


THEATRE  91 


Parmi  les  poètes  tragiques  qui  sont  fort  nombreux, 
il  faut  citer  tout  d'abord:  Nicolas  Kostomaroff  (1817- 
1885)  qui,  par  son  œuvre  historique,  appartient  à  la 
littérature  russe,  mais  reste  ukrainien  par  ses  poésies 
débordantes  de  patriotisme  et  ses  deux  tragédies  : 
«  Sava  Tchalyi  »  et  «  La  Nuit  de  Pereslav  » ,  Michel 
Starytsky  (1840-1904),  qui  fit  du  théâtre  un  puissant 
facteur  de  propagande  nationale;  il  a  écrit  un  cer- 
tain nombre  de  pièces  qui  frappent  l'imagination,  en- 
chantent et  émeuvent.  Marco  Kropyvnitsky  (1841- 
1910),  qui  donne  toute  une  série  de  types  et  de  ta- 
bleaux pris  sur  le  vif.  J.  Tobilevitch  qui,  plus  connu 
sous  son  pseudonyme  Karpenko-Kary  (1865-1907) 
est  un  écrivain  de  tout  premier  ordre,  et  a  laissé,  avec 
un  beau  drame  historique  «  Sava  Tchaly  »,  d'excel- 
lentes études  de  mœurs  populaires. 

Le  théâtre  ukrainien  a  toujours  joui  sur  tout  le 
territoire  de  la  Russie  d'une  renommée  justement  cé- 
lèbre, car  ses  acteurs  sont  excellents.  Mais,  jusqu'à 
1895,  ces  acteurs  n'avaient  pu  jouer  qu'en  dehors  des 
frontières  de  l'Ukraine,  à  Petrograd,  à  Moscou  et  jus- 
qu'en Sibérie,  et  seulement  depuis  l'ordonnance 
1876.  En  1895,  le  général-gouverneur  Dragomirov, 
ukrainien  russifié,  mais  secrètement  attaché  à  l'U- 
kraine, accorda  aux  acteurs  ukrainiens  le  droit  de 
jouer  des  pièces  en  langue  ukrainienne  à  Kiev,  à  Eka- 
terinoslav,  et,  en  général,  dans  toute  l'Ukraine.  Aussi, 
les  années  qui  ont  précédé  la  guerre  virent-elles  éclo- 


i)2  i.'i  i;i{AiNi-; 


re  toute  une  iloraison  de  comédies,  de  drames  et  de 
tragédies  dont  i)lusieurs  annonceiil  de  réels  talents. 
Parmi  ceux-ci  se  placent  au  tout  premier  rang  les 
drames  de  Vinnitchenko,  plus  connu  comme  roman- 
cier mais  qui  possède  les  véritables  qualités  du  dra- 
maturge. Son  dernier  drame  :  "  Entre  deux  Forces  », 
inspiré  par  les  tragiques  événements  qui  se  sont 
déroulés  en  Ukraine,  pendant  la  ])remière  occupation 
des  Bolcheviks,  est  un  véritable  chef-d'œuvre.  Interdit 
par  le  Hetman  Skoropadsky,  il  fut  joué  en  janvier 
1919,  après  la  reprise  de  Kiev  par  les  troupes  de  la 
République  ukrainienne,  et  déchaîna  un  enthou- 
siasme indescriptible. 


Roman  et  Nouvelle 

Le  roman  fait  de  très  bonne  heure  son  apparition^ 
dans  la  littérature  ukrainienne  avec  les  traductions 
des  romans  grecs  «  L'Alexandria  »  du  pseudo  Caly- 
sthène,  la  «  Guerre  de  Troie  »  et  le  «  Royaume  des  In- 
des ». 

Mais  ce  n'est  qu'à  la  fin  du  xviir  siècle  que  devait 
paraître  le  père  du  roman  ukrainien  tel  que  nous  le 
concevons  aujourd'hui.  C'est  Grégoire  Kwitka  qui, 
sous  le  pseudonyme  d'Osnovianenko,  a  précédé  Geor- 
ge  Sand,   Auerbach   et   Tourgueniev,   en  écrivant  de 


ROMAN    ET    NOUVELLE  93 

charmantes  nouvelles  tirées  de  la  vie  du  peuple.  Son 
principal  roman  :  <(  Maroussia  »  est  une  œuvre  de 
sensibilité  sincère  et  exquise.  «  La  Sorcière  de  Kono- 
top  »,  «  Oxana  malheureuse  »,  «  L'amour  sincère  », 
dénotent  une  grande  pureté  de  sentiment  et  un  pro- 
fond amour  du  peuple,  de  son  pays  et  de  sa  langue. 

Ivan  Levytsky,  connu  sous  le  pseudonyme  de  Net- 
chouy,  jouit  d'une  grande  vogue  dans  toute  l'Ukraine, 
Parmi  ses  nombreux  romans,  il  faut  citer  :  «  Deux 
Moscovites  »,  «  La  Nuit  de  Horeslav  »,  «  Le  Cram- 
pon »,  <(  Ténèbres  »,  «  La  Remorqueuse  »,  etc. 

Panas  Myrny  eut  de  nombreux  démêlés  avec  le 
Gouvernement  russe.  Son  principal  roman  «  Les 
Bœufs  ne  mugissent  pas  quand  ils  ont  du  foin  dans 
le  râtelier  »,  où  il  dépeint  la  vie  sociale,  a  été  édité  à 
Genève  par  Dragomanov. 

Marie  Markovitch,  sous  le  pseudonyme  de  Marko 
Wowtchok  (1834-1907),  fut  pour  le  roman  ukrainien 
ce  que  Chevtchenko  fut  pour  la  poésie.  Elle  dépeint 
les  mœurs  et  la  vie  des  serfs  et  les  anciennes  coutu- 
mes de  l'Ukraine.  «  Maroussia  »  est  un  véritable  petit 
chef-d'œuvre  et  ses  Contes  Populaires,  parus  en 
1856,  eurent  un  tel  succès  qu'ils  furent  traduits  en 
russe  par  Tourguenieiï",  en  anglais  et  en  français.  La 
traduction  française  de  «  Maroussia  »  due  à  l'habile 
plume  de  M.  Stahl,  a  eu  un  tel  succès,  qu'elle  compte 
aujourd'hui  plus  de  80  éditions. 

Alexandra  Koulich  (1829-1911)  a  écrit  sous  le  pseu- 


aé  l'ukraine 


donyme  de  Hanna  Barvinok  un  grand  nombre  de 
romans  sur  la  vie  du  peuple,  où  elle  fait  preuve  d'un 
profond  esprit  d'observation. 

Anatole  Swidnytsky  (1834-1872)  a  laissé  des  ro- 
mans «  Les  Luboradsky  »  (Chronique  de  famille), 
qui  dépeignent  la  vie  des  «  Années  soixante  »  dans  les 
milieux  bourgeois  ukrainiens  qui  commençaient  à  se 
dénationaliser. 

Ivan  Franko  (1856-1916),  tour  à  tour  poète  et  ro- 
mancier, dépeint  dans  une  série  de  nouvelles,  l'exploi- 
tation du  peuple  dans  les  mines  pétrolifères  de  Boris- 
lav  «  Boa  constrietor  »,  «  A  la  sueur  de  son  front  ». 
«  Pour  le  foyer  »,  «  La  Croisée  des  chemins  »,  «  Au 
sein  de  la  nature  »,  etc.  et  la  misère  des  paysans  li- 
vrés à  la  merci  des  seigneurs. 

Michel  Kotsioubinsky  (1864-1913)  peut  se  compa- 
rer à  Guy  de  Maupassant  par  la  profondeur  de  son 
analyse  psychologique  et  à  Tourgueniev  par  ses  ta- 
bleaux de  la  nature.  Dans  son  «  Intermezzo  »,  il  dé- 
peint l'immensité  des  champs  de  l'Ukraine  et  son  ciel 
cristallin,  avec  un  lyrisme  qui  n'a  d'égal  que  l'émotion 
provoquée  par  le  récit  des  malheureux  paysans  mis  en 
scène.  Les  «  Fata  Morgana  »  sont  des  scènes  tragiques 
et  angoissantes  de  la  Révolution  de  1905.  Les  «  Om- 
bres d'ancêtres  oubliés  »  dépeignent  la  vie  des  monta- 
gnards vivant  dans  les  Carpathes. 

Maître  d'une  langue  parfaite,  profond  psychologue, 
Kotsioubinsky  a  donn-é  des  œuvres  qui  sont  considé- 


HISTOIRE  95 


rées  comme  les  plus  parfaites  de  la  littérature  ukrai- 
nienne. 

M.  Vinnitchenko,  dont  l'analyse  psychologique  est 
également  très  profonde,  ne  cherche  pas  à  idéaliser 
ses  héros  ordinairement  communs  et  même  vulgaires, 
mais  néanmoins  très  vivants.  Chacun  de  ses  ro- 
mans est  un  chef-d'œuvre  d'observation.  Parmi  les 
plus  connus,  il  faut  citer  «Holota»  (Populace),  tableau 
triste  et  puissant  de  la  \ie  du  prolétariat  agraire;  «  Je 
veux  »,  peinture  forte  et  énergique  de  la  vie  des  intel- 
lectuels ukrainiens,  en  même  temps  que  puissante 
analj'se  du  sentiment  national  dans  l'âme  d'un  intel- 
lectuel ukrainien  russifié,  «  Le  Mensonge  »,  «  L'Ours 
Blanc  et  la  Panthère  Noire  »,  etc. 


Histoire 


L'Histoire  fait  son  apparition  dans  la  littérature 
ukrainienne  sous  la  forme  de  Chroniques  dont  les 
principales  sont  celles  de  Nestor  au  xii*"  siècle  et  celles 
de  Kiev  et  de  Galicie-Volhynie  qui  les  continuent  jus- 
qu'en 1292. 

Merveilleux  assemblage  de  légendes  et  de  faits  his- 
toriques racontés  avec  une  naïveté,  une  vivacité  char- 
mantes et  un  grand  soin  d'exactitude,  elles  expriment 
le  caractère  national  ukrainien  qui,  dit  l'historien  So- 


90  l'lK  HAINE 


loviov  «  csl  d'une  toute  autre  uatuie  ([ue  Je  eaiaelère 
grand-russien  ». 

La  dynastie  lithuanienne  eut  aussi  des  historiens 
pour  raconter  l'époque  de  luttes  et  de  mouvements  po- 
pulaires qu'eût  à  traverser  l'Ukraine,  depuis  l'invasion 
tartare  jusqu'à  la  perte  de  ses  droits  politiques,  sous 
la  domination  russe.  Les  événements  de  cette  époque 
sont  contenus  dans  les  Chroniques  de  Lemberg,  de 
Kiev,  de  la  Ruthène-Lithuanie,  au  xV  siècle;  dans  les 
Mémoires  de  Samuel  Zokie,  secrétaire  de  Khmielnitski, 
de  Jevlaszewsky,  de  Khanenko  et  de  Markowytch  et 
dans  les  (Chroniques  cosaques  dont  la  plus  intéres- 
sante et  la  plus  littéraire  est  celle  de  Velytchko  (1090 
à  1728). 

Mais  c'est  au  xix'  siècle  que  la  littérature  ukrainien- 
ne devait  trouver  ses  véritables  historiens  dans  Michel 
Dragomanov,  V.  Antonovitch  et  surtout  dans  Michel 
Grouchevsky. 

Michel  Dragomanov  (1841-1895),  extrêmement  cul- 
tivé, resta  profondément  attaché  à  sa  patrie  bien  qu'il 
ait  surtout  séjourné  à  l'étranger,  à  Paris  et  à  Sofia.  Il 
a  fait  connaître  l'Ukraine  à  la  France  par  des  brochu- 
res riches  de  faits  et  de  conclusions  :  «  La  Politique 
orientale  de  l'Allemagne  et  la  russification  »,  «  l'U- 
kraine et  les  Empires  centraux  »,  «  La  Pologne  histo- 
rique et  la  démocratie  grand-russienne  »,  «  Pensées 
étranges  sur  la  question  nationale  de  l'Ukraine  », 
«  Lettres  à  l'Ukraine  du  Dnièpre  ». 


HISTOIRE  97 


Dragomanov  a  puissamment  contribué  au  maintien 
du  sentiment  national  dans  l'àme  du  peuple  ukrai- 
nien. 

V.  Antonovitch,  profondément  érudit,  a  écrit  sur 
l'histoire  de  l'Ukraine  plusieurs  ouvrages  dont  les 
principaux  sont:  «Monographies  historiques»,  «Der- 
nières années  de  l'organisation  cosaque  dans  l'Ukraine 
occidentale».  Il  a  travaillé  sur  la  fin  de  sa  vie  à  un  rap- 
prochement ukraino-polonais,  sans  arriver  à  un  ré- 
sultat sérieux. 

Michel  Grouchevsky  est  assurément  le  plus  grand 
historien  de  l'Ukraine.  Son  «  Histoire  de  l'Ukraine  » 
compte  déjà  sept  volumes  et  s'arrête  à  la  révolte  des 
Cosaques  (1625),  mais  on  peut  déjà  la  considérer  com- 
me un  chef-d'œuvre  par  la  grande  quantité  de  docu- 
ments compulsés  et  sa  force  de  dialectique. 

Parmi  les  autres  historiens  ukrainiens  contempo- 
rains, il  faut  citer  Oreste  Levitsky,  auteur  de  Mono- 
graphies remarquables,  le  Père  Kripviakievitch  et  Bog- 
dan  Buchinsky,  auteur  de  travaux  très  documentés 
sur  l'Eglise  en  Ukraine,  Lypinsky  qui  s'adonne  spécia- 
lement à  l'histoire  des  relations  polono-ruthènes  et 
qui  a  déjà  fait  paraître  quelques  volumes  du  plus 
grand  intérêt  et  enfin,  j^our  y  prendre  une  place  parti- 
culière, M.  Stéphane  Tomachevsky  dont  l'Insurrection 
des  Haïdamaks  et  les  Etudes  historiques  sur  les  Ukrai- 
niens de  Hongrie  se  recommandent  par  leur  documen- 
tation et  leur  impartialité. 


1)8  l'ukkaim: 


(À'I  Mj)tiçu  (le  la  littérature  ukrainienne  est  néces- 
sairement très  court  et  laisse  dans  l'ombre  un  trop 
grand  nombre  d'écrivains  qui  mériteraient  chacun 
une  mention  spéciale,  mais  il  est  cependant  suffisant 
pour  montrer  que,  malgré  les  obstacles  suscités  j)ar 
ses  maîtres,  malgré  les  décrets  de  proscription  et  de 
prohibition,  le  peuple  ukrainien  a  gardé  le  culte  de  sa 
langue  et  des  belles-lettres  et  qu'à  l'avenir  il  saura 
user  de  la  liberté  qu'il  a  conquise  pour  se  déveloi)per 
intellectuellement   et   moralement. 


Iir    PARTIE 


LES  UKRAINIENS 


Réunis  en  un  imposant  faisceau  dans  des  tracts  et 
<les  brochures,  ou  savamment  dosés  dans  des  articles 
de  journaux  ou  de  courtes  informations,  les  argu- 
ments qu'agitent  les  adversaires  de  l'Ukraine  pour 
dresser  leurs  violents  réquisitoires  contre  ses  aspira- 
tions nationales  et  son  désir  de  liberté  et  d'indépen- 
dance tombent  d'eux-mêmes,  si  on  les  examine  à  la 
lumière  du  bon  sens  et  avec  quelque  peu  d'esprit  cri- 
tique. 

Très  impressionnants  quand  ils  sont  habillés  de 
phrases  pompeuses  et  grandiloquentes,  ils  ne  sont  que 
loque  et  néant  lorsqu'on  les  réduit  à  des  faits,  La 
preuve  en  est  aisé  à  faire. 


100  Li:S   [IKRAIMIiXS 


Le  terme   «   Ukraine  » 

Pour  prouver  que  le  tejritoirc  ukrainien  fait  partie 
inlégranlc  du  territoire  russe  et  que  le  peuple  qui 
l'habite  n'a  aucun  droit  à  l'indépendance  réclamée 
par  ses  dirigeants,  des  adversaires  de  la  jeune  Répu- 
blique, à  bout  d'arguments  sans  doute  et  plus  animés 
de  haine  que  doués  d'esprit  critique,  se  rejettent  sur 
l'étymologie  du  terme  «  Ukraine  ». 

Cet  argument  n'a  et  ne  peut  avoir  aucune  valeur,  car 
quel  ra})port  peut  exister  entre  l'origine  d'un  pays 
et  le  nom  qu'il  porte  ? 

Le  terme  «  Ukraine  »  vient  de  deux  mots  russes  : 
ou  et  kraïna  qui  signifient,  le  premier  chez,  près  de,  le 
second  limite,  frontières  et  par  extension,  pays,  patrie. 
Puisque  le  terme  <(  Ukraine  »  disent-ils,  signifie 
«  près  de  la  frontière  »,  le  territoire  auquel  il  a  été 
attribué  appartient  à  la  Russie  sur  la  frontière  de 
laquelle  il  se  trouve.  C'est  d'une  logique  absolue! 

Or,  ce  mot  a  Ukraine  »  a  été  employé  pour  la 
première  fois,  dans  les  Chroniques  ukrainiennes,  au 
xr  siècle,  pour  désigner  le  territoire  qui  porte  actuel- 
lement ce  nom.  A  cette  époque,  l'Ukraine  n'avait 
encore  été  l'objet  d'aucune  convoitise,  vivait  libre  et 
"  indépendante  et  par  conséquent  n'était  «  près  de  la 
frontière  »  d'aucun  pays  ou  plutôt  elle  était  près  de 
la'  frontière  de  l'Europe  civilisée  qu'elle  défendait 
contre  les  incursions  des  barbares. 


l'ukrainien  diffère  des  autres  slaves        101 


D'autre  part,  l'Ukraine  a  fait  partie  de  la  Pologne 
aux  xiv%  xv"  et  xvr  siècles,  c'est-à-dire,  avant  d'être 
englobée  dans  l'Empire  moscovite.  Donc,  si  l'Ukraine 
avait  été  «  près  de  la  frontière  d'un  pays  »,  ce  serait 
de  la  Pologne  et  non  de  la  Russie?  L'adage  français  : 
'(  qui  veut  trop  prouver  ne  prouve  rien  »  trouve  une 
fois  de  plus  son  application. 


Le  peuple  ukrainien  diffère  des  autres  Slaves 

Compris,  ainsi  qu'il  a  été  dit  dans  la  II"  partie,  entre 
les  44° — 53°  de  latitude  et  les  20"^45°  de  lon- 
gitude, c'est-à-dire  entre  les  Carpathes  et  le  Cau- 
case, les  marais  du  Pripet  et  la  Mer  Noire,  le  ter- 
ritoire ukrainien,  dont  les  frontières  ethnographiques 
n'ont  jamais  varié  au  cours  des  siècles,  est  habité  par 
une  population  qu'on  peut  évaluer  à  près  de  50  mil- 
lions  d'habitants. 

Cette  population  se  répartit  ainsi:  37.500.000  d'U- 
krainiens ou  75  0/0  de  la  population  totale;  5.000.000 
de  Russes  ou  10  0/0;  3.800.000  de  Juifs  ou  7,6  0/0; 
1.400.000  de  nationalités  diverses  (Roumains,  Blanc- 
Russes,  Tartares,  Bulgares,  etc..)  ou  2  0/0. 

Les  statistiques  officielles  russes  ou  polonaises  don- 
nent des  chilïres  un  peu  différents.  Mais  il  ne  faut  pas 


]U2  LliS  LKKAIMI.NS 


oublier  (juV'u  Ilussic,  le  deniier  recensement  qui  date 
de  1906  a  été  fait  sur  la  base  de  la  langue  officielle- 
ment |)iulée.  Or,  la  plupart  des  Ukrainiens,  surtout 
dans  les  villes  parlent  russe  (la  langue  ukrainienne 
ayant  été  jusque  là  proscrite),  et  ont  été,  de  ce  fait, 
considérés  comme  Russes. 

Les  statistiques  polonaises  ne  sont  pas  plus  exactes, 
car  elles  enregistrent  comme  Polonais  tous  les 
Juifs  habitant  le  territoire  ukrainien  et  tous  les  Ukrai- 
niens professant  la  religion  catholique.  Or,  le  chiffre 
des  Ukrainiens  catholiques  dépasse  500.000  et  per- 
sonne n'ignore  que  les  Juifs  vivent  fort  nombreux  en 
Ukraine  et  surtout  en  Galicie. 

On  voit  dès  lors  quelle  confiance  il  faut  accorder 
aux  statistiques  provenant  de  ces  deux  sources. 

Le  peuple  ukrainien  fait  partie  de  la  grande  famille 
slave,  mais  diffère  essentiellement  des  Russes 
et  des  Polonais  qui  appartiennent  à  la  même  race. 
De  savants  anthropologistes  comme  Dniker  et  Reclus, 
en  F'rance,  Popof  et  Krasnow,  en  Russie,  Vovk  et 
Rakovski,  en  Ukraine,  ont  démontré,  chiffres  et  preu- 
ves à  l'appui,  que  la  grande  famille  slave  se  di^1se  en 
deux  groupes  :  le  groupe  vislien  qui  comprend  les 
Russes,  les  Polonais  et  les  Blanc-Russes  et  le  groupe 
adriatique  ou  dinarique  auquel  appartiennent  les 
Serbo-Croates,  les  Slovènes,  les  Tchéko-Slovaques  et 
les  Ukrainiens.  Chacun  de  ces  groupes  se  distingue 
par  des   caractéristiques   qui   ne   permettent     aucune 


l'ikhainikn  diffère  des  autres  slaves        103 

confusion.  Le  premier  groupe  est  de  taille  moyenne, 
avec  76  comme  table  de  visage  et  les  cheveux  blonds. 
Le  second  groupe  est  de  taille  élevée,  avec  78  comme 
table  de  visage  et  les  cheveux  noirs. 

En  1880,  le  géographe  et  anthropologiste  Reclus 
voyait  un  lien  de  parenté  entre  l'Ukrainien  et  le  Slave 
méridional  et  Deniker  concluait  une  de  ses  études 
par  ces  mots  :  «  Les  Ukrainiens,  de  même  que  les 
Slaves  méridionaux,  appartiennent  à  la  race  dite  race 
adriatique  ou  dinarique,  tandis  que  les  Polonais  ap- 
partiennent à  la  race  de  la  Vistule  et  les  Russes  à  la 
race  orientale.  » 

Plus  récemment  encore,  M.  Alfred  Fouillée,  après 
M.  A.  Leroy-Beaulieu,  écrit  dans  son  Esquisse  psy- 
chologique des  peuples  européens  :  «  Les  Petits-Rus- 
siens  (Ukrainiens)  sont  plus  fins  de  membres  et  d'os- 
sature (que  les  Russes),  plus  vifs  et  plus  alertes  d'es 
prit,  à  la  fois  plus  mobiles  et  plus  indolents,  plus  mé- 
ditatifs et  moins  décidés,  par  suite  plus  apathiques  et 
moins  entreprenants.  Ils  ont  l'esprit  moins  positif, 
plus  ouvert  au  sentiment  et  à  l'imagination,  plus  rê- 
veur et  poétique.  Ils  ont  des  instincts  plus  démocra- 
tiques et  sont  plus  accessibles  aux  séductions  révolu- 
tionnaires. Ce  sont  de  vrais  Cello-Slaves  ». 

Ainsi,  d'après  ces  savants  ({ui  n'avaient  certes  pré- 
vus ni  l'effondrement  de  l'empire  russe,  ni  la  désagré- 
gation de  la  monarchie  austro-hongroise,  ni,  par 
conséquent,  la  proclamation  de  la  République  ukiai- 


1<>^  LKS  UKRAINIENS 


nienne,  le  peuj)lc  ukrainien,  slave  comme  les  Russes 
et  les  Polonais,  en  est,  cependant,  essentiellement 
distinct. 


L'Ukraine  est  une  Nation 

Dans  son  Histoire  de  Charles  XII  de  Suède,  Vol- 
taire a  dit  que  «l'Ukraineatoujoursaspiréàêtrelibre  ». 
Cette  affirmation  d'un  maitre  en  la  matière  n'empê- 
che pas  les  adversaires  du  peuple  ukrainien  de  répé- 
ter à  satiété  que  «  personne  en  Europe  ne  se  doutait 
tout  récemment  encore,  d'une  Ukraine  et  d'Ukrainiens 
aux  visées  séparatistes  ».  A  quelle  époque  Voltaire  vi- 
vait-il donc  ? 

Mais  ceci  ne  peut  pas  embarrasser  ceux  qui 
nient  au  peuple  Ukrainien  son  droit  à  l'indépen- 
dance «  parce  qu'il  n'a  pas  existé  de  tout  temps  ou 
du  moins  pendant  des  siècles  »,  puisqu'après  leur  belle 
déclaration,  ils  ne  craignent  pas  de  reconnaître  les 
faits  que  voici  : 

«  Byzance,  au  xiv^  siècle,  appela  Russie  mineure 
les  provinces  de  Kiev,  Tchernigov,  Volhynie,  Podolie, 
Poltava  et  la  Galicie  pour  distinguer  ce  territoire  de 
celui  de  la  Russie  majeure  ». 

«  Au  xiii"  siècle,  s'écroule  l'édifice  majestueux  de  la 
Russie  kiovienne...,  mais  à  vrai  dire  ce  ne  sont  pas 


L'UKRAINE  EST  UNE  NATION  105 


seulement  les  Tartares  qui  furent  la  cause  de  la  ruine 
du  pays  :  les  tendances  séparatistes  des  contrées  qui 
composaient  la  principauté  de  Kiev  y  furent  pour 
beaucoup.  » 

«  Pendant  que  la  Grande-Russie,  sous  la  ferme  di- 
rection de  ses  princes,  s'acheminait  vers  un  avenir 
glorieux,  la  Russie  méridionale  cessait  d'exister  politi- 
quement. 

«  Le  peuple  Ukrainien  sortit  de  la  tête  d'un  écrivain 
polonais,  le  comte  Potocki,  en  1795.  » 

Ces  citations  pourraient  être  continuées.  Mais,  pui- 
sées dans  une  seule  des  multiples  brochures  écrites 
contre  l'Ukraine  et  les  Ukrainiens,  celles-là  suffisent 
pour  montrer  quelles  difficultés  ont  à  vaincre  les  ad- 
versaires de  l'Ukraine  pour  soutenir  leur  thèse.  Ou- 
bliant qu'ils  nient  l'existence  de  l'Ukraine  avant  la 
Révolution  russe  de  1917,  ils  laissent  tomber  de  leurs 
plumes  des  dates  qui  jettent  à  terre  tout  l'échafau- 
dage si  laborieusement  construit. 

Leurs  propres  données  non  seulement  prouvent  que 
l'Ukraine  a  une  tradition  historique,  mais  fournis- 
sent les  deux  prémisses  qui  permettent  au  peu- 
ple ukrainien  de  conclure  à  son  droit  de  vivre 
désormais  libre  et  indépendant  :  Pour  user  de 
ce  droit,  le  peuple  ukrainien  devrait  avoir  vécu 
pendant  des  siècles,  disent-ils.  Or,  sous  le  nom  de 
Russie  Mineure  ou  sous  son  nom  actuel,  l'Ukraine 
existait   (d'après   les    seules   citations    que    l'on   vient 


106  Li:S  LKKAIMKXS 


de  lire;  dès  le  xi\     siècle.  Dcmh-  l'ik raine  et  les  (krni- 
niens  ont  le  droit  d'exister. 

Pour  soutenir  la  niènir  thèse,  (|uc'  rCkraine  en  tant 
que  nation  n'existe  pas  et  n'a  Janiais  existé,  d'autres 
adversaires  invoquent  le  fait,  qu'en  l()ô4,  <(  le  Helman 
Kmielnitski,  vieux  et  alîaibli,  a  donné  au  Tsar 
moscovite,  par  le  traité  de  Pereislav,  la  moitié  de  la 
Russie  qu'il  avait  délivrée  de  l'eselavage  polonais  ». 

Or,  voici  quelques-uns  des  articles  de  ce  traité  : 

L'Ukraine  doit  être  gouvernée  par  son  propre 
peuple. 

Là  où  il  y  a  trois  libres  Ukrainiens,  deux  doivent 
juger  le  troisième. 

Si  le  Hetman  vient  à  mourir  par  la  volonté  de  Dieu, 
que  l'Ukraine  elle-même  élise  un  nouvel  Hetman  par- 
mi son  propre  peuple  en  informant  seulement  le  Tsar 
de  cette  élection. 

Que  l'armée  ukrainienne  s'élève  toujours  à  GO.OOO 
hommes. 

Que  les  impôts  soient  perçus  par  des  fonctionnaires 
élus. 

Que  le  Hetman  et  le  gouvernement  ukrainien  puis- 
sent recevoir  les  ambassadeurs  qui,  de  tout  temps, 
sont  venus  des  pays  étrangers  en  Ukraine  ». 

Donc,  ce  traité  qui,  d'après  les  adversaires  du  mou- 
vement nationaliste  ukrainien  actuel,  prouverait  que 
I?Ukraine  s'est  donnée  à  la  Russie,  garantit  au  con- 
traire au  peuple  ukrainien  un  gouvernement  autono- 


L'UKRAINE  EST  l'XE  NATION  107 


me,  une  armée  permanente,  une  administration  fiscale 
particulière  et  enfin,  sous  certaines  réserves,  la  faculté 
d'entretenir  des  rapports  internationaux,  c'est-à-dire 
réserve  sa  complète  indépendance. 

Cette  charte  des  libertés  ukrainiennes,  confirmée 
par  lettres  patentes  du  Tsar  Alexis  Mihailovitch,  le  27 
mars  1654,  a  été  cyniquement  foulée  aux  pieds  par 
tous  ses  successeurs  jusqu'en  1917;  mais  ce  déni  de 
justice  ne  confère  pas  aux  Russes  qui  ont  aboli  le  tsa- 
risme pour  obtenir  plus  d'équité,  le  droit  de  s'opposer 
à  l'indépendance  de  l'Ukraine. 

D'ailleurs,  pour  s'assurer  que  l'Ukraine  n'est  pas 
née  d'hier,  il  suiîit  de  feuilleter  l'Histoire. 

Le  célèbre  auteur  de  la  remarquable  Histoire  de 
Russie,  Karamzin  (1765-1820),  avoue  «  que  les  pro- 
vinces méridionales  de  la  Russie  (l'Ukraine)  devinrent 
dès  le  xiir  siècle  comme  étrangères  pour  notre  patrie 
septentrionale,  dont  les  habitants  prenaient  si  peu 
part  au  sort  des  Kioviens,  Volhyniens,  Galiciens,  que 
les  chroniqueurs  de  Souzdal  et  de  Novgorod  n'en  di- 
sent presque  pas  un  mot  ». 

Pierre  le  Grand  emploie  le  mot  Ukraine  et  dit  : 
«  Le  peuple  ukrainien  est  très  intelligent,  mais  ce 
n'est  pas  un-  avantage  pour  nous  ». 

Catherine  II  rend  hommage  à  l'esprit  de  sacri- 
fice du  comte  Alexis  Razvomowtsky  «  qualité  na- 
turelle à  la  nation  petite-russienne  »  ;  elle  est 
enchantée    du    climat    de    Kiev    où    elle    trouve    le 


in.S  I,|;.S    I   Kh  AIMIONS 


priiilcmj)s,   alors  (juc    clicz    nous,    en    Hiissic,    c'est 

encort'  riiiver  ,  mais  cela  ne  lait  que  l'engager 
davantage  à  employer  "  les  dents  d'un  loup  •  et  ■■  les 
ruses  d'un  renard  »  pour  parvenir  à  la  russification 
complète  de  ce  merveilleux  pays. 

Plus  près  de  nous,  Stolypine  se  plaint  des  "  ukrai- 
niens »  et  les  traite  «  d'allogènes  -. 

J)'autre  j)art,  une  carte  découverte  en  juillet  1918 
dans  la  Bibliothèque  des  RR.  PP.  Bénédictins  d'Ein- 
siedeln  prouve  qu'en  1710,  l'Ukraine  existait  comme 
centre  géographique  et  politicjue  indépendant  de  la 
Moscovie.  La  carte  de  la  Moscovie  de  N'ischer  (1735) 
dénomme  Okraïna  ce  qu'on  a  dénommé  depuis  Petite- 
Russie.  Celle  de  Homann  (1716)  comprend  la  Ruthe- 
nie  avec  Leopol  (Lemberg)  dans  les  limites  de 
l'Ukraine. 

Ainsi,  le  Recueil  complet  des  Lois  Russes,  le  Re- 
cueil de  la  Société  historique  russe,  les  Archives  de 
l'Empire  russe,  les  ouvrages  des  historiens  russes  So- 
loviov  et  Karamzin,  la  Bibliothèque  d'Einsiedeln, 
tous  fournissent  des  textes  et  des  documents  qui  ne 
permettent  pas  un  seul  instant  de  mettre  en  doute 
l'existence,  au  moins  dès  le  xiii"  siècle,  et  sur  le  terri- 
toire actuellement  revendiqué  par  les  Ukrainiens,  de 
la  nation  ukrainienne  dont  voici  l'histoire  : 

Indépendante  pendant  six  siècles,  du  ix°  à  la  fin  du 
Xv',  elle  se  vit  tout  à  coup  sous  la  pression  de 
la  Pologne,  obligée  de  subir  un  joug  étranger  jusqu'au 


L'UKRAINE  EST   UNE   NATION  109 


jour  OÙ,  vaincu  à  l'ouest,  Bogdan  Khmielnitski,  son 
Hetman,  se  décide  à  se  tourner  vers  l'Est  et  à 
accepter  le  protectorat  d'Alexis  Mihailovitch,  tsar 
moscovite,  par  le  traité  de  Pereiaslav  (1654).  C'était 
tomber  de  Charybde  en  Scylla,  et  le  grand  poète 
Chevtchenko  dit  fort  bien  dans  un  vers  lapidaire  que 
tout  Ukrainien  apprend  en  suçant  le  lait  maternel  : 
«  Il  aurait  mieux  valu  que  ta  mère  t'aie  étouffé  dans 
ton  berceau.    > 

A  partir  de  ce  moment,  l'histoire  de  l'Ukraine  n'est 
qu'un  long  martyrologe  dont  les  pages  ne  semblent 
pas  encore  closes. 

Pour  russifier  l'Ukraine,  Pierre-le-Grand  remplace 
les  gouverneurs  ukrainiens  par  des  voïevodes  mosco- 
vites :  le  fameux  Yvan  Mazepa,  que  Victor  Hugo  a 
chanté  dans  ses  Orientales,  se  révolte  et  conclue  une 
alliance  avec  Charles  XII  de  Suède  que  la  France  fa- 
vorise. Vaincu  à  Poltava,  il  cherche  un  refuge  dans  la 
Bessarabie  qui  appartenait  alors  à  la  Turquie. 

Catherine  II  introduit  le  servage  en  Ukraine,  op- 
prime les  intelligences,  abolit  le  nom  même  d'Ukraine 
qu'elle  remplace  tendancieusement  par  celui  de  Pe- 
tite Russie,  comme  elle  avait  remplacé  le  nom  de  Po- 
logne par  celui  de  Pays  de  la  Vistule  et  le  nom  de  la 
Lithuanic  par  celui  de  Pays  du  Nord-Ouest. 

Nicolas  I"  est  plus  féroce  encore  :  il  supprime 
l'Eglise  uniate  et  impose  la  religion  orthodoxe;  la 
Confrérie  de  Cvrille  et  Méthode,  dont  le  but  était  de 


110  M. s   T  Kl'.AIMKNS 


maintenir  le  senlimenl  nntioiial  (l:uis  l'àiiie  du  i)(iii)le 
et  propager  l'idée  d'une  lédriiitioii  d(''ni(»cr:ilij|U('  de 
tous  les  peuples  slaves  est  dissoute  :  ses  nienihres  par- 
mi lesquels  l'historien  Kostoniarov  et  le  j)oète  Chevt- 
chenko  sont  envoyés  au  bagne  de  .Sibérie. 

Alexandre  II  proscrit  la  langue  ukrainienne  <les 
écoles  et  fait  décréter  en  1803  par  le  comte  N'alouïev, 
son  ministre  de  l'intérieur,  «  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de 
langue  ukrainienne,  qu'il  n'y  en  a  pas  et  qu'il  ne  doit 
pas  y  en  avoir  »  et  en  1870,  par  le  chef  du  Départe- 
ment de  la  presse,  Gregoriev,  que  l'impression  et  la 
l)ublication  des  livres  et  brochures  en  ukrainien  sont 
interdites  dans  les  frontières  de  l'Empire,  de  môme 
que  la  représentation  des  pièces  en  langue  ukrai- 
nienne. Le  résultat  ne  se  fait  pas  attendre  :  le  nom- 
bre des  illettrés  monte  à  80  0/0,  personne  ne  voulant 
aller  dans  des  écoles  où  l'on  n'apprend  qu'une  langue 
étrangère  :  le  russe.  L'exode  des  intellectuels  ukrai- 
niens vers  la  Galicie  commence;  cette  province  de- 
\ient,  dès  lors,  le  Piémont  ukrainien. 

Nicolas  II,  si  libéral  au  début  de  son  règne,  laisse 
cependant  son  ministre  Stolypine  reprendre  aux 
Ukrainiens  les  quelques  libertés  rendues  par  la  Révo- 
lution de  1905,  déclarer  dans  une  série  de  circulaires 
f(  que  le  ralliement  de  la  société  ukrainienne  autour 
de  l'idée  nationale  n'est  pas  désirable  au  point  de  vue 
des  dispositions  de  l'empire  russe  »,  dissoudre  leurs 
associations  et  juguler  leur  presse  et  permet,  les  deux 


l'armke  ukrainienne  llï 


premières   années    de   la   guerre,    d'inutiles    violences 
dans  les  deux  Ukraines  russe  et  autrichienne. 

Que  faut-il  de  plus  pour  permettre  de  conclure  que, 
martyre  comme  la  Pologne,  l'Alsace^Lorraine  et  l'Ir- 
lande, l'Ukraine  doit  être,  aux  mêmes  titres  qu'elles^ 
délivrée  du  joug  de  l'oppresseur  et  puisqu'elle  le  dé- 
sire, vivre  désormais  libre  et  indépendante.  Toute 
autre  solution  de  la  question  ukrainienne  conduirait 
nécessairement  à  des  récriminations  justifiées,  à  des 
rancunes  et  à  la  guerre. 


L'armée  ukrainienne 

Il  est  assez  commun  d'entendre,  même  dans  les  mi- 
lieux qui  devraient  être  bien  informés,  les  versions  les 
plus  fantaisistes  sur  la  formation  de  l'armée  ukrai- 
nienne et  d'y  voir  s'y  accréditer  les  racontars  les  plus 
tendancieux. 

La  vérité  est  celle-ci  : 

Lors(jue  le  bolchevisme,  soutenu,  sinon  soudoyé  par 
l'argent  allemand,  eut  fait,  dans  les  tranchées  septen- 
Ijionales  russes,  son  (l'uvre  de  dissolution  et  partir  de 
presque  tout  le  front  une  grande  partie  de  l'armée 
russe,  les  régiments  ukrainiens  avec  les  Cosaques  du 
Don,  furent  les  seuls  à  rester  fidèles  au  devoir  et  à  con- 
tinuer la  lutte  à  côté  des  alliés.  Réclamés  par  Pctliou- 


1 12  Li:s  rKiîAiMi:\s 


ra,  alors  commissaire  aux  Affaires  de  la  guenc,  (jui 
voulait  les  soustraire  à  la  contagion,  malgré  Kerensky 
dont  le  grand  désir  était  de  garder  ces  valeureux  sol- 
dats au  service  de  la  Russie,  ces  régiments  ukrainiens, 
malgré  les  promesses  des  Bolcheviks,  descendiicnl  du 
front  de  Riga  sur  le  front  méridional  et  avec  leurs  ca- 
marades du  front  rousso-roumain,  le  défendirent  con- 
tre l'invasion  austro-allemande  jusqu'en  juillet  1917. 
Fatigués  par  trois  années  de  guerre  au  cours  des- 
quelles ils  avaient  participé  à  bien  des  combats,  la  gi- 
becière aussi  vide  que  l'estomac,  trompés  par  de  falla- 
cieuses promesses,  les  Cosaques  ukrainiens,  comme 
les  soldats  russes,  comme  les  Cosaques  du  Don,  eu- 
rent leur  moment  de  faiblesse. 

Ce  fut  le  mérite  de  Petlioura  et  ce  sera  sa  gloire, 
quand  le  temps  aura  jeté  sa  patine  sur  les  événements 
actuels,  d'avoir  pu  reconstituer  avec  ces  régiments, 
dont  il  élimina  les  éléments  contaminés  ou  même  sim- 
plement douteux,  une  armée  parfaitement  disciplinée 
qui,  sans  un  seul  murmure,  courut  avec  un  armement 
bien  imparfait  cependant  et  un  ravitaillement  plus 
que  défectueux,  à  la  frontière  orientale  de  l'Ukraine 
où  commençait  à  déferler  la  vague  furieuse  du  Bol- 
che\dsme. 

Et  c'est  pas  à  pas  qu'elle  recula  devant  le  nombre, 
c'est  après  des  luttes  acharnées  qu'elle  céda  du  ter- 
rain et  un  bombardement  de  dix  jours  et  des  combats 
meurtriers  qu'elle  évacua   sa  capitale.   Aussi,   quand. 


l'armée  UKRAINIENNE  113 


dans  les  premiers  jours  de  mars  1918,  elle  entra  de 
nouveau  à  Kiev,  elle  y  fut  reçue  par  une  foule  en 
délire  qui  la  couvrit  de  fleurs.  Et  ce  sont  ces  soldats 
qui  pendant  deux  années  se  sont  battus  comme  des 
lions  dans  la  guerre  russo-allemande  et  qui  depuis 
dix-huit  mois  luttent  avec  acharnement  pour  défendre 
l'intégrité  et  l'indépendance  de  leur  patrie,  que  l'on 
ose  calomnier  ! 

Faut-il   faire  mention  des  bataillons   que   les   Alle- 
mands   formèrent   avec     les     Ukrainiens     prisonniers 
dans  leurs  camps  de  concentration?  Les  poilus  fran- 
çais qui   sont  revenus  d'Allemagne,  aussitôt   Tarmis- 
tice  signé,  sont  unanimes  à  déclarer  que  le  régime  au- 
quel ils  étaient  soumis,  aussi  dur  fût-il,  n'était  rien, 
en  comparaison  de  celui  imposé  aux  prisonniers  de 
l'armée  russe.  Ce  régime  entraînait  fréquemment  la 
mort.  Pourquoi  alors,   faire  un   crime  à  ces  malheu- 
reux prisonniers  d'avoir  consenti  à  passer,  puisqu'ils 
étaient  ukrainiens  et  non  russes,  dans  des  camps  où  le 
traitement  était  plus  doux  et  la  nourriture  plus  abon- 
dante? Libres  à  eux,  quand  le  moment  serait  venu,  de 
consentir  ou  de  ne  pas  consentir  à  ce  que  les  Alle- 
mands, en  échange  de  leurs  bons  procédés  leur  deman- 
deraient. Il  faut  croire  que  leur  conduite  a  été  parfaite, 
puisque  l'adversaire  le  plus  acharné  de  l'Ukraine,  écrit 
en  parlant  de  ces  bataillons  qui  sous  sa  plume  setrans- 
forment  en. régiments  :  «  Après  Brest-Litovsk,  on  les 
envoya  en  Ukraine,  mais  ces  régiments  devaient  eau- 


J  1  1  LES  UKKAIMLNS 


ser  d'aincrcs  (léceplioiis  à  ceux  ({ui  les  avaient  si  Ijien 
préparés  :  rentrés  au  pays,  les  «  Joupanes  bleus  '>  — 
lisez  les  L'krainiens  —  se  distinguèrent  hienlol  /jnr 
leur  haine  contre  les  Allemands  qui  furent  forcés  de 
les  désarmer  en  avril  1918.   " 

Or,  ces  régiments  sont  les  mêmes  qui  combattent 
aujourd'hui  sous  le  commandement  de  Petlioura  que 
l'on  voudrait  faire  passer,  malgré  les  nombreuses 
preuves  de  francophilie  qu'il  a  données,  pour  un 
comparse  des  Allemands  ou  de  Lénine  et  de  Bela-Kun. 


Le  peuple  ukrainien  veut   vivre   indépendant 

Une  opinion  très  répandue  veut  qu'en  Ukraine,  seuls 
les  partis  politiques  se  seraient  prononcés  pour  l'indé- 
pendance, mais  que  le  peuple,  seul  maître  des  desti- 
nées de  son  pays,  n'a  jamais  manifesté  cette  intention. 

Il  semble  que  dans  cette  question,  les  faits  doivent 
être  plus  probants  que  tous  les  raisonnements  et 
toutes  les  argumentations.  C'est  pourquoi  il  suffit  ici 
de  faire  un  simple  exposé  de  ce  qui  s'est  passé  en 
Ukraine  depuis  la  Révolution. 

Libre  du  joug  moscovite  et  certaine  d'obtenir  l'ap- 
pui des  puissances  de  l'Entente  qui  avait  tant  de  fois 
déclaré,  depuis  le  4  août  1914,  du  haut  des  tribunes 
parlementaires  et  dans  les  colonnes   de  leurs   jour- 


l'ikraixe  et  l'indépendance  115 

naux,  que  tout  peuple  avait  le  droit  de  forger  son 
bonheur  en  disposant  de  soi-même,  l'Ukraine  s'em- 
pressa, comme  la  Pologne  et  la  Finlande,  de  passer  de 
la  théorie  au  fait  et  de  proclamer,  d'abord  son  auto- 
nomie, puis  son  indépendance. 

Et  ce  n'est  pas  seulement  la  Rada  centrale  et  le  Se- 
crétariat Général,  son  organe  exécutif,  qui  demandè- 
rent la  reconnaissance  immédiate  du  nouvel  Etat, 
mais  des  organes,  comme  le  Congrès  des  Paysans 
(1917)  et  la  Réunion  des  Propriétaires  (1918),  lesquels 
n'ont  rien  de  commun  avec  les  organisations  poli- 
tiques. 

Le  Congrès  des  paysans  réuni  à  Kiev  au  lendemain 
même  de  la.  Révolution,  comprenait  les  représentants 
de  tous  les  paysans  habitant  le  territoire  de  l'Ukraine, 
sans  distinction  ni  de  religion,  ni  de  nationalité,  ni  de 
parti.  Aucun  homme  politique,  aucun  intellectuel,  au- 
cun meneur  de  foule  n'y  assistait.  Il  n'y  avait  que  des 
paysans.  Or,  à  l'issue  de  ses  travaux,  d'un  mouve- 
ment spontané,  le  Congrès  des  Paysans  vota  une  mo- 
tion en  faveur  de  l'indépendance  de  l'Ukraine. 

Le  Congrès  des  propriétaires  qui  tint  ses  assises 
également  à  Kiev,  un  an  plus  tard,  alors  que  les  mem- 
bres de  la  Rada  venaient  d'être  dispersés  et  que  les 
prétendus  fauteurs  du  mouvement  ukrainien  étaient, 
tout  comme  sous  le  régime  tsariste,  enfermés  dans  la 
prison  de  Lukianovka,  après  avoir,  inspiré  par  les 
Allemands,  placé  le  général  Skoropadsky  à  la  tête  du 


IIT)  LES  UKRAIMKNS 


Hetmanat   ukrainien,    vota   également   avec   la   même 
spontanéité  l'indépendance  de  l'Ukraine. 

Ces  faits,  que  personne,  à  moins  d'être  d'une  abso- 
lue mauvaise  foi,  ne  saurait  nier,  prouvent  que  non 
seulement  les  intellectuels,  mais  aussi  la  classe  des 
agriculteurs,  les  masses  paysannes  par  la  voix  de 
leurs  représentants,  le  peuple  ukrainien  tout  entier 
enfin,  veut  l'indépendance  de  l'Ukraine. 


Le  peuple  ukrainien  a  gardé  le  sentiment 
national 

On  a  dit  bien  souvent  qu'une  des  raisons  pour  les- 
quelles le  peuple  russe  n'a  pas  pu  réagir  contre  les 
idées  subversives  inoculées  chez  lui  par  ses  ennemis, 
c'est  qu'il  n'a  pas  le  sentiment  national. 

Ce  reproche  ne  peut  pas  être  adressé  au  peuple 
ukrainien. 

Toute  l'histoire  de  l'Ukraine  se  dresse  pour  prouver 
qu'à  travers  tous  les  siècles,  le  peuple  tout  entier  s'est 
toujours  insurgé  contre  ses  oppresseurs  pour  en  se- 
couer le  joug. 

La  Révolution  russe  lui  a  donné  l'occasion  d'en 
donner  de  nouvelles  preuves. 

Depuis  le  12  mars  1917,  il  n'y  a  pas  eu  une  seule 
manifestation,  politique,  militaire  ou  religieuse,  il  ne 


L'UKRAINE  ET  LE   SENTIMENT  NATIONAL  „  117 

s'est  pas  fait  une  seule  réunion,  prononcé  un  seul  dis- 
cours, sans  que  les  rues,  les  maisons,  les  édifices,  les 
tribunes,  les  individus,  se  soient  décorés,  sans  nul  in- 
vite et  sans  aucun  ordre,  aux  couleurs  ukrainiennes 
or  et  bleu.  Et  quand  nous.  Français,  nous  assistions 

dans  les  rues  de  Kiev,  d'Odessa  ou  de  quelque  autre 
ville,  à  la  chasse  aux  cocardes  ukrainiennes  par  les 
Bolcheviks  ou  )es  volontaires  de  Skoropadsky  et  de 
Denikine,  nous  songions  involontairement  à  la  chasse 
aux  cocardes  françaises  sur  la  terre  alsacienne-lor- 
raine par  les  reîtres  allemands. 

Une  autre  preuve  que  tout  le  peuple  ukrainien  veut 
vivre  désormais  libre  de  toute  attache  avec  ceux  dont 
il  a,  jusque-là,  subi  les  lois  et  la  domination,  c'est 
l'empressement  avec  lequel  les  enfants  et  les  jeunes 
gens  se  sont  précipités  sur  les  bancs  des  écoles  pri- 
maires, des  écoles  secondaires  et  des  écoles  supérieu- 
res ukrainiennes  que  le  Secrétariat  Général  d'abord,  le 
Directoire  en  suite,  se  sont  empressés  d'ouvrir  sur  tout 
le  territoire  ukrainien. 

Ce  peuple,  qui  semblait  indifférent  pour  tout  ce  qui 
était  instruction  et  dont  toutes  les  pensées  sem- 
blaient se  concentrer  sur  sa  récolte  prochaine  de  céréa- 
les ou  de  betteraves,  a  tout  à  coup  pris  le  chemin  des 
bibliothèques  et  des  librairies  pour  s'y  disputer  les 
trop   peu   nombreux   ouvrages  en  langue  ukrainien.ne. 

«  Il  n'y  a  jamais  eu,  il  n'y  a  pas  et  il  ne  doit  pas  y 
avoir  de  langue  ukrainienne  »,  avait  péremptoirement 


nS  ^  LES  LKRAIMLNS 


décrété,  en  18()3,  le*  comte  ^'alouïe^.  La  fierté  avec 
laquelle  tout  le  monde  parle  l'ukrainien,  l'empresse- 
ment que  mettent  à  le  réapprendre  les  enfants  et  les 
jeunes  gens  des  villes,  lui  iniligent  un  cruel  démenti 
et  prouvent  surabondamment  qu'en  conservant  l'a- 
mour et  bien  souvent  l'usage  de  la  langue  de  ses  pères, 
le  peuple  ukrainien  a  gardé  envers  et  contre  tout,  mal- 
gré toutes  les  affirmations  contraires,  le  sentiment 
national. 

Les  Bolcheviks  russes,  qui,  à  l'égard  du  peuple 
ukrainien  et  de  son  mouvement  séparatiste  nourris- 
sent les  mêmes  sentiments  que  les  Tsaristes,  savent 
bien,  eux,  que  ^ou^Tie^  et  le  paysan  ukrainiens  ont 
l'amour  de  leurs  libertés  reconquises,  le  culte  de  la 
langue  de  leurs  pères  et  l'attachement  au  sol  de  la  pa- 
trie, c'est-à-dire  le  sentiment  national.  Aussi,  quand 
ils  lancèrent  de  Moscou,  en  1917,  leurs  proclamations 
dans  le  but  de  soulever  le  peuple  contre  la  Rada,  <  ce 
gouvernement  bourgeois  »,  c'est  en  langue  ukrainien- 
ne qu'ils  les  rédigèrent  et  ils  n'oublièrent  pas  de  pren- 
dre l'engagement  formel,  comme  Alexis  MihailoA-itch, 
dans  le  traité  de  Pereiaslav,  de  toujours  respecter  les 
libertés  du  peuple  ukrainien  et  l'indépendance  de  la 
République  ukrainienne. 

Le  soir  de  son  entrée  à  Kiev,  le  8  fé\Tier  1918, 
Moura^nof  faisait  afficher  sur  les  murs  de  Kiev 
une  proclamation  en  langue  ukrainienne  où  il  était 
dit    :    «    Prolétaires    de    Kiev  :    Je    salue    la    Repu- 


L'UKRAINE  ET  LE  BOLCHEVISME  119 


«  blique  des  Travailleurs,  ouvriers  et  paysans 
«  ukrainiens.  Nos  adversaires  nous  accusent  de  ne 
«  pas  admettre  le  principe  de  l'autonomie.  Je  ne  cher- 
«  cherai  pas  à  nous  disculper.  Le  peuple  travailleur 
«  ukrainien  sait  bien  que  c'est  là  un  lâche  mensonge 
<(  et  une  calomnie.  Mes  armées  n'ont  qu'un  but,  vous 
«  aider  à  renverser  le  gouvernement  bourgeois  pour 
«   le  remplacer  par  le  gouvernement  des  Soviets  nkrai- 

«   niens.   « 

Et  c'est,  parce  que  leurs  libertés  ukrainiennes  n'ont 
pas  été  respectées  par  les  Bolcheviks,  ni  par  les  Alle- 
mands qui  ont  réussi,  eux  aussi,  à  pénétrer  dans  le 
pays  par  les  mêmes  fallacieuses  promesses,  que  les 
paysans  d'abord,  les  ouvriers  plus  tard,  se  sont  révol- 
tés et  ont  pris  les  armes,  comme  ils  se  révolteront  tou- 
jours et  prendront  toujours  les  armes  contre  toute 
puissance  qui  voudra  restaurer,  en  Ukraine,  un  gou- 
vernement dont  la  politique  ne  s'inspirera  pas  du  seul 
respect  des  libertés  ukrainiennes  et  des  seuls  intérêts 
du  peuple  ukrainien. 


L'Ukraine  n'est  pas  bolchéviste 

Croire  que  les  théories  maximalistes  ont  trouvé  le 
même  écho  chez  le  peuple  ulu-ainien  que  chez  le  peu- 
ple russe,  c'est  une  erreur  profonde,  et  l'aflii'mer,  tout 
simplement  une  calomnie  monstrueuse. 


120  LliS  LKUAIMENS 


Tout  d'abord  on  peut  dire  que,  d'une  manière  gé- 
nérale, le  Holchevisnie  reerute  ses  j)artisans,  non  dans 
les  classes  j)aysannes,  mais  dans  la  classe  ouvrière, 
non  dans  les  campagnes,  mais  dans  les  villes.  Or,  le 
peu])le  Ukrainien,  personne  ne  l'ignore,  est  un  peuple 
essentiellement  agricole,  85  0/0  de  sa  population, 
c'est-à-dire  32.500.000  indi\àdus,  s'occupent  des  tra- 
vaux des  champs  et  vivent  à  la  campagne.  Le  pourcen- 
tage de  la  population  urbaine  est  toujours  en  défaveur 
des  l'krainiens,  et  cela  par  suite  de  la  conduite  du  gou- 
vernement centralisateur  de  Moscou,  qui  a  toujours 
empêché  le  développement  industriel  des  nationalités 
englobées  dans  l'Empire  russe  et  peuplé  les  villes 
d'une  armée  de  fonctionnaires  et  d'une  légion  de  com- 
merçants envoyés  de  Petrograd  et  de  Moscou.  En 
Ukraine,  la  presque  totalité  des  ouvriers  est  étrangère 
au  peuple  ukrainien. 

C'est  ce  fait  qui  a  permis  aux  adversaires  des 
Ukrainiens  de  conclure,  sur  le  seul  pourcentage  de  la 
population  urbaine,  que  le  peuple  ukrainien  n'avait 
pas  la  majorité  en  Ukraine. 

Or,  du  fait  que  seuls  les  ouvriers  se  sont,  au  début, 
enrôlés  dans  l'armée  bolchevique,  que  d'autre  part, 
les  Ukrainiens  sont  surtout  agriculteurs,  il  en  résulte 
que  ceux  que  l'on  appelle  bolcheviks  ukrainiens  sont 
en  réalité  des  Bolche\iks  étrangers  à  l'Ukraine. 

Si  au  mois  de  février  1918,  il  s'est  trouvé  quelques 
Ukrainiens  à  accepter  les  théories  maximalistes,  c'est 


L'UKRAINE  ET  LE  BOLCHEVISME  121 

parce  que  la  démobilisation  de  l'armée,  faite  brusque- 
ment et  sans  arrêt,  a  jeté  sur  le  pavé  bon  nombre  de 
démobilisés,  qui,  se  trouvant  sans  travail  et  sans  ar- 
gent, ont  été  heureux  d'obtenir  dans  les  rangs  bolclie- 
vistes  un  emploi  peu  absorbant  et  bien  rémunéré. 

D'autre  part,  fatigués  par  trois  années  d'une  guerre 
terribles  au  cours  desquelles  ils  avaient  été  privés  de 
tout,  même  d'armes  et  de  munitions,  les  soldats  reve- 
nant des  tranchées  ne  pouvaient  être  que  très  sensibles 
à  la  devise  bolchevique  :  «  Tout  à  tous  »,  si  pleine 
d'alléchantes  promesses. 

Ces  Ukrainiens,  néanmoins,  se  sont  vite  ressaisis, 
quand  ils  ont  vu  de  près  ceux  qu'ils  avaient  pris  pour 
des  amis. 

Lorsque  les  Bolcheviks  russes  ont  quitté,  en  mars 
1918,  le  territoire  de  l'Ukraine,  il  n'est  pas  resté 
en  fait  de  bolcheviks  que  les  ouvriers  étrangers,  les- 
quels, d'ailleurs,  ont  remis  à  plus  tard  la  manifestation 
de  leurs  théories.  Quant  au  paysan  ukrainien,  ayant 
plus  que  partout  ailleurs  le  respect  de  la  propriété 
individuelle,  il  a  tout  de  suite  compris  que  la  terre  qui 
lui  avait  été  donnée  sans  bourse  délier,  et  que  quel- 
quefois, entraîné  par  des  meneurs,  il  avait  enlevée  à 
son  légitime  propriétaire,  de  lui-même,  il  l'u  rendue 
avec  tous  les  instruments  aratoires  détenus  par  lui. 
Contrairement  au  paysan  russe,  le  paysan  ukrainien 
ne  se  considère  et  ne  se  considérera  jamais  proprié- 
taire d'une  terre  qui  ne  lui  a  pas  été  livrée  par-devant 


122  LES  UKRAINIENS 


notaire  contre  espèces  sonnantes,  par  un  acte  dont  il 
restera  le  délenleiw. 

Au  début  de  li)19,  <|uelques  Ukrainiens  se  sont 
joints  aux  trou])es  bolcheviques,  mais  il  faut  avouer 
que  l'Entente  avait  mis  entre  les  mains  des  liolcheviks 
russes  une  arme  puissante  pour  répandre  leurs  théo- 
ries parmi  les  paysans  ukrainiens. 

Les  Français  et  les  Grecs  venaient  de  débarquer  à 
Odessa  dans  le  but  d'appuyer  les  volontaires  de 
Denikine.  Quoi  de  plus  facile  aux  agents  bolche- 
viques répandus  dans  toutes  les  campagnes  que 
de  persuader  aux  paysans  que  ces  étrangers  ve- 
naient en  Ukraine  pour  y  recommencer  les  dépré- 
dations et  les  brigandages  des  Allemands,  pour  y 
détruire  les  libertés  ukrainiennes,  au  profit  de  Sko- 
ropadsky  ou  de  Denikine,  c'est-à-dire  du  tsarisme 
tant  abhorré.  Seule  une  lutte  dans  les  rangs  des  Bol- 
cheviks pouvait  faire  triompher  la  cause  ukrainienne. 

Petlioura  représenté  sous  des  couleurs  si  sombres 
et  même  parfois  comme  l'allié  de  Lénine  et  de  Bela- 
Khun,  eut  à  combattre  jusqu'au  sein  du  Directoire 
l'idée  que  la  République  française  venait  renverser  la 
République  ukrainienne  au  profit  de  l'Empire  russe 
et  de  la  République  polonaise. 

Les  paysans  revinrent  bien  vite  d'eux-mêmes  à 
d'autres  sentiments,  quand  ils  s'aperçurent  que 
les  Bolcheviks  russes,  accompagnés  de  mercenaires 
chinois,  n'étaient  venus  dans  les  villages  ukrainiens 


L'UKRAINE  ET  L'aLLEMAGNE  123 

que  pour  ràller  leur  bétail,  voler  leur  céréales,  en- 
tasser tout  ce  qui  était  tran-sportable  dans  des  trains 
qui  prenaient  immédiatement  la  route  de  la  Rus- 
sie. Petlioura  vit  alors  son  étoile  reprendre  tout  son 
éclat,  et  s'enrôler  sous  ses  drapeaux  le  peuple  tout 
entier.  La  révolte  des  paysans  eut  lieu  sur  tout  le  terri- 
toire ukrainien.  A  l'heure  actuelle,  l'idée  holche- 
viste  n'a  que  des  ennemis  en  Ukraine,  et  tout  est  mis 
en  œuvre  pour  chasser  du  teniioire  le  Russe  qui  l'y  a 
apportée. 


L'Ukraine  n  est  pas  l'instrument  de  l'Allemagne 

L'argument  le  plus  impressionnant  pour  nous 
Français,  et  dont  les  adversaires  de  l'Ukraine  et  des 
Ukrainiens  usent  et  abusent,  c'est  de  montrer  dans  le 
mouvement  séparatiste  ukrainien  une  intrigue  austro- 
allemande  et  un  article  made  in  Germany. 

L'incursion  que  j'ai  essayé  de  faire  dans  l'histoire 
de  l'Ukraine  prouve  assez  qu'il  n'en  est  rien  et  (jue  la 
politique  brutale  du  régime  tsariste  dans  les  deux 
Ukraines  russe  et  autrichienne  a  donné  beau  jeu  aux 
Austro-Allemands  dont  l'intérêt  était  de  favoriser 
tout  mouvement  qui  créerait  des  difficultés  à  leurs  en- 
nemis? La  Ligue  pour  la  Libération  de  r Ukraine  que 
l'on  attribue  aux  Ukrainiens  séparatistes  et  dont  on 
leur  fait  un  crime  n'a  pas  d'autre  origine.  D'ailleurs,  le 


124  Li:S  l  KRAINIENS 


rôle  de  cette  Ligue  ne  dilîère  nullement  de  celui  du 
Conseil  National  Suprême  (N.  K.  N.)  de  Pologne,  qui  a 
établi  des  bureaux  germanophiles  à  Vienne,  Berlin, 
Stockholm,  Raperswil  et  Berne,  et  qui  a  publié  pen- 
dant toute  la  guerre  des  revues  de  pro])agunde  en  alle- 
mand telles  que  Polen  à  Vienne  et  les  Polnische  Blât- 
ter  à  Berlin. 

Or,  de  même  que  personne  ne  songe  à  incriminer  la 
République  polonaise,  —  l'auteur  de  ces  lignes  moins 
que  tout  autre,  —  du  fait  de  la  création  par  les  Aus- 
tro-Allemands du  Conseil  National  Suprême  de  Polo- 
gne dont  toute  l'activité  pendant  quatre  années  a  été 
dirigée  contre  l'Entente,  il  semble  souverainement  in- 
juste d'incriminer  la  République  ukrainienne  et  de 
voir  en  elle  un  article  made  in  Gcrmany  parce  que 
l'Autriche  et  l'Allemagne  ont  créé  à  Vienne  une  Ligue 
pour  la  libération  de  l'Ukraine,  dans  le  même  but 
qu'elles  ont  créé  le  Conseil  National  Suprême  de  Polo- 
gne, c'est-à-dire  susciter  des  difficultés  à  un  membre 
de  l'Entente. 

Le  second  fait  invoqué  par  les  adversaires  de  l'U- 
kraine pour  démontrer  qu'elle  est  germanophile,  la 
fondation  à  Lausanne  d'un  Bureau  d'Information 
ukrainien,  ne  paraît  pas  plus  fondé. 

Les  chefs  les  plus  qualifiés  du  mouvement  ukrai- 
nien :  Grouchevski  qui  a  été  professeur  à  l'Ecole  libre 
des  Sciences  sociales  à  Paris,  avant  d'enseigner  l'his- 
toire à  l'Université  de  Lemberg  et  Vinnitchenko,  qui  a 


L'UKRAINE  ET  L'aLLEMAGNE  125 

vécu,  lui  aussi,  en  qualité  d'émigré  politique,  à  Paris, 
où  il  fonda,  en  1908,  le  Cercle  des  Ukrainiens  de  Pa- 
ris, ont  désavoué  de  la  façon  la  plus  formelle  la  pro- 
pagande des  agitateurs  sans  mandat  comme  Skoropis- 
loltoukhovski  et  Stepankovski,  directeur  du  Bureau 
d'information  ukrainien  de  Lausanne,  et  leur  repro- 
chent de  faire  le  jeu  de  l'Allemagne  par  leurs  déclara- 
tions en  faveur  de  l'indépendance  absolue. 

Dans  le  numéro  du  1"  novembre  1917,  du  Journal 
de  Russie,  paraissant  à  Petrograd,  Grouchevski  écrit: 
«  Malgré  ses  tentatives  réitérées  pour  entrer  en  rela- 
tions avec  le  gouvernement  de  Kiev  en  arguant  de  son 
titre  de  président  de  la  Ligue  et  de  mandats  qu'il 
tient  des  prisonniers  de  guerre  ukrainiens,  Skoro- 
pis-Ioltoukhovski  a  toujours  été  éconduit  ».  Vinnit- 
chenko  n'est  pas  moins  formel.  «  Tout  le  monde  sait, 
écrit-il,  que  la  Ligue  pour  la  libération  de  l'Ukraine 
est  un  instrument  de  propagande  allemande.  Mais 
ici,  en  Ukraine,  personne  n'a  jamais  attaché  la 
moindre  importance  à  cette  organisation  austro-alle- 
mande. On  ne  peut  nous  rendre  responsables  de  ce 
que  publie  à  Stockholm,  à  Berne  et  à  Lausanne,  Ste- 
pankovski. La  germanophilie  n'a  pas  de  racines  cliez 
nous.  Il  y  a  à  Kiev  beaucoup  moins  de  partisans  de 
l'Allemagne  qu'à  Petrograd  ». 

Reste  la  troisième  accusation  :  la  signature  de  la 
Paix  de  Brest-Litovsk  par  le  Secrétariat  Général  de 
l'Ukraine. 


120  LES   IKFt.MNIENS 


Comme  tout  Français,  je  fus  indigné  en  apprenant 
la  signature  de  ce  traité,  car  je  pensais  que  de  ce  fait» 
des  millions  d'Allemands  devenaient  libres  et  allaient 
être  jetés  dans  la  ruée  sur  Paris.  Comme  tout  le 
monde,  je  criais  à  la  trahison.  Depuis,  j'ai  vu  des  évé- 
nements que  je  ne  prévoyais  pas  alors  et  j'ai  connu 
des  faits  que  j'ignorais.  J'ai  longtemps  réiléchi.  La 
conclusion  qui  s'est  imposée  à  moi  comme  elle  s'est 
imposée  et  s'imposera  à  tout  esprit  impartial,  c'est 
que  les  Ul^rainiens  ne  sont  pas  aussi  coupables  qu'ils 
le  paraissent  à  première  vue  et  que  leurs  adversaires 
voudraient  les  représenter. 

D'abord  est-il  bien  vrai  que  la  signature  du  traité 
de  Brest-Litovsk  a  rendu  libres,  pour  être  envo}  es  sur 
le  front  français,  un  si  grand  nombre  de  soldats  enne- 
mis? Au  risque  de  m'attirer  les  foudres  des  adversai- 
res de  l'Ukraine  qui  agitent  si  souvent  cet  argument 
si  impressionnant  pour  nous.  Français,  qui  avons  tant 
tremblé  pour  Paris  pendant  l'offensive  allemande  de 
la  Somme,  c'est  une  légende  qu'il  me  faut  détruire. 

D'après  des  officiers  français  qui  ont  séjourné  dans 
plusieurs  secteurs  du  front  russe,  de  septembre  1917 
à  janvier  1918,  les  Allemands  n'avaient  presque  per- 
sonne dans  leurs  tranchées  :  çà  et  là  quelque  canons 
en  bois  et  des  silhouettes  humaines  en  carton  et  c'était 
tout. 

Ailleurs,  le  front  était  ouvert,  le  bétail  allemand 
venait  paître  dans  les  lignes  russes  et  les  soldats  rus- 


L'UKRAINE  ET  L'aLLEMAGNE  127 

ses  allaient  fraterniser,  boire  et  s'amuser  dans  les 
lignes  allemandes  avec  les  quelques  kamarades,  tou- 
jours des  vieillards  et  des  infirmes,  préposés  à  la  gar- 
de du  matériel. 

La  signature  du  traité  de  Brest-Litovsk  par  les 
Ukrainiens  n'a  pas  plus  augmenté  le  nombre  des  sol- 
dats allemands  sur  le  front  français  que  le  refus 
momentané  de  Trotsky,  la  rupture  de  l'armistice 
par  les  Allemands  et  leur  avance  en  Russie  ne  l'ont 
diminué.  Les  hostilités  sur  le  front  russe  avaient  défi- 
nitivement pris  fin  le  jour  de  la  prise  de  Riga  et  de 
Tarnopol,  et  depuis  cette  époque,  les  Austro-Alle- 
mands avaient  toute  la  liberté  de  leurs  mouvements. 

Il  est  vrai  que  le  traité  de  Brest-Litovsk  exigeait  le 
renvoi  immédiat  dans  leurs  pays  des  prisonniers  alle- 
mands et  autrichiens. 

Or,  les  prisonniers  retenus  en  Ukraine  étaient  pour 
la  plus  grande  majorité  des  déserteurs  de  l'armée  aus- 
tro-allemande :  des  Alsaciens,  des  Polonais,  des  Tché- 
co-Slovaques,  des  Slaves  de  l'Autriche  méridionale, 
des  Irrédentistes  italiens  et  des  Roumains.  Le  gouver- 
nement ukrainien,  successeur  à  Kiev  du  gouverne- 
ment russe,  prêta  son  concours  le  plus  bienveillant  au 
rapatriement  en  France  des  Alsaciens-Lorrains  qui 
étaient  tous  cantonnés  à  Darnitza,  dès  leur  arrivée  du 
front;  en  Roumanie,  des  Transylvains  ramenés  des 
mines  où  ils  travaillaient,  à  Kiev  où  des  officiers 
de    l'armée    roumaine    et    des    officiers    Transylvains 


128  LES  UKRAINIENS 

de  l'arinéc  austro-hongroise  les  équipaient,  les  en- 
traînaient, avant  de  les  dirii^er  sur  le  front  rou- 
main ;  el,  en  Italie,  des  Irrédentistes  (jui  en  fai- 
saient la  demande.  Quant  aux  Tehéeo-SioviKiues, 
aux  Polonais  et  aux  Slaves  de  l'Autriche  méridio- 
nale et  de  la  Hongrie,  personne  ne  peut  ignorer 
que  c'est  sur  le  sol  ukrainien  qu'ils  ont  formé  et  en- 
traîné leurs  légions  et  que  le  gouvernement  ukrainien 
leur  a  continué  la  sympathie  accordée  par  le  gouver- 
nement russe.  Il  fut  même  conclu  entre  le  gouverne- 
ment ukrainien  et  M.  Massaryk,  ministre  des  Afïaires 
étrangères  tchéco-slovaque,  un  accord  militaire  pour 
favoriser  la  formation  et  l'entraînement  des  légions 
tchéco-slovaques  sur  le  territoire  ukrainien. 

Si  du  chiffre  des  prisonniers  austro-allemands  l'on 
défalque  le  nombre  de  ces  déserteurs  qui  s'en  sont 
allés  combattre  sur  le  sol  de  leur  vraie  patrie,  grâce 
à  l'obligeance  du  gouvernement  ukrainien,  il  n'en 
reste  pas  un  grand  nombre  à  envoyer  sur  le  front 
français.  Or,  malgré  la  pression  faite  par  les  komman- 
danturs  allemande  et  austro-hongroise  installées 
à  Kiev  dès  l'occupation  de  l'Ukraine  par  les  Alle- 
mands, malgré  leurs  menaces  de  peines  sévères  et 
même  de  mort,  affichées  périodiquement  jusqu'au 
jour  de  l'armistice,  sur  les  murs  de  Kiev,  dans  toutes 
les  villes  et  dans  tous  les  villages  de  l'Ukraine,  ils  fu- 
rent peu  nombreux,  les  prisonniers  allemands  et  au- 
trichiens, qui   consentirent   à   quitter   les   occupations 


L'UKRAINE  ET  L'ALLEMAGNE  129 

qui  les  enrichissaient  pour  aller  sur  le  front  français, 
dont  ils  parlaient  en  tremblant  ou  dans  les  casernes 
allemandes  ou  autrichiennes  «  où  l'on  était  battu  et  où 
l'on  mourrait  de  faim  ».  Et  ceux  que  la  menace  avait 
intimidés  et  qui  s'étaient  rendus  à  la  kommandatur 
pour  être  expédiés  dans  les  dépôts  partirent,  pour  le 
plus  grand  nombre,  avec  l'intention  formellement  ar- 
rêtée de  se  rendre,  les  Austro-Hongrois  aux  Italiens, 
les  Allemands  aux  Français.  D'ailleurs,  les  faits  ont 
démontré  que  cette  intention  a  été  unanimement  exé- 
cutée. 

L'argument  d'une  augmentation  d'effectifs  alle- 
mands sur  le  front  français  pendant  la  bataille  de  la 
Somme  du  fait  de  la  signature  du  traité  de  Brest- 
Litovsk  par  les  Ukrainiens,  examiné  avec  impartia- 
lité et  en  connaissance  de  cause,  devient,  dès  lors, 
beaucoup  moins  impressionnant. 

Reste  le  fait  lui-même.  D'abord  il  ne  faut  i)as  per- 
dre de  vue  que  les  principaux  leaders  du  peuple 
ukrainien,  Petlioura  en  tête,  donnèrent  leur  démission 
pour  ne  pas  signer  le  traité  et  garder  leur  liberté  con- 
tre les  Allemands;  d'autre  part,  plusieurs  partis  poli- 
tiques parmi  lesquels  le  parti  «  Jeune-Ukrainien  >• 
n'ont  jamais  reconnu  le  traité  de  Brest-Litovsk.  La  si- 
gnature de  ce  traité  n'est  donc  le  fait  que  de  quelques 
hommes  politiques. 

Evidemment,  même  peu  nombreux,  ces  repré- 
sentants   du    peuple    ukrainien    ne    sont    pas    à    ap- 


13U  J,i:S  UKRAINIENS 


prouver  ri  il  icslc  Imciî  certain  qu'à  peine  avaient- 
ils  apposé  leur  signature  au  bas  de  ce  pacte  infâme, 
auquel  d'ailleurs  BrockdorfT,  dans  ses  contre-pro- 
l)ositions  de  la  paix  de  Versailles  fait  allusion 
pour  le  critiquer  et  le  déplorer,  ils  le  regrettèrent 
amèrement. 

D'ailleurs  pour  se  racheter  et  se  faire  supporter  par 
les  vrais  Ukrainiens,  à  peine  de  retour  à  Kiev,  ils  se 
mirent  à  fomenter  dans  le  peuple  des  insurrections 
locales  qui  obligèrent  les  Allemands  à  porter  le  chiffre 
de  l'armée  d'occupation  de  40.000,  cliilïre  prévu  par  le 
traité  de  Brest-Litovsk,  à  600.000  soldats. 

Mais  auraient-ils  pu  ne  pas  aller  à  Brest-Litovsk? 

Les  Puissances  de  l'Entente,  soit  par  indifférence 
pour  les  questions  qui  ne  regardaient  pas  directement 
les  opérations  militaires  en  cours,  soit  plutôt  pour  ne 
pas  déplaire  au  gouvernement  de  Petrograd,  avaient 
semblé  tout  d'abord  ignorer  ce  qui  se  passait  en 
Ukraine.  Les  Sasonov  pas  plus  que  les  Milioukov 
iVâvaient  jugé  d'ailleurs  à  propos  de  leur  -en  parler. 
Mais  les  événements  furent  les  plus  forts  et  les  Alliés 
durent  bien  se  rendre  compte  que  la  voix  du  peuple 
ukrainien  devenait  haute  et  impérieuse. 

Dénoncé  comme  intrigue  allemande,  le  mouvement 
ukrainien  semble  avoir  été  l'objet  d'une  enquête  qui 
lui  fut  favorable  sans  doute,  puisque  le  Secrétariat 
Général  Ukrainien  vit  peu  à  peu  des  relations,  d'abord 
officieuses,   puis  officielles,  s'établir  entre  lui  et  les 


L'UKRAINE  ET  l'aLLEMAGNE  131 

représentants  de  la  France,  de  l'Angleterre,  de  la  Rou- 
manie et  de  la  Serbie. 

Dès  le  début  de  ces  relations,  le  Secrétariat  Géné- 
ral; avec  une  franchise  que  personne  ne  veut  lui  re- 
connaître, mais  qui  n'en  existe  pas  moins,  montra  que 
sa  volonté  ferme  était  de  rester  fidèle  à  ses  engage- 
ments envers  l'Entente,  mais  que  le  Gouvernement 
Provisoire,  d'ailleurs  appuyé  par  les  Alliés,  l'ayant 
empêché  de  former  une  armée  nationale,  il  lui  sem- 
blait impossible  de  rester  (à  hauteur  de  sa  tâche.  A 
cette  époque  déjà,  l'armée  des  Soviets,  à  l'instigation 
de  son  véritable  maître,  l'Etat-Major  de  Ludendorff,se 
mettait  en  marche  contre  l'Ukraine.  Le  général  T,,., 
alors  commissaire  du  gouvernement  français  près  le 
gouvernement  ukrainien,  se  contenta  de  maudire 
les  Bolcheviks  et  le  Gouvernement  provisoire. 

Les  événements  se  précipitaient  :  au  Nord,  la  fra- 
ternisation avec  l'ennemi  avait  commencé,  Krylenko 
était  en  pourparlers  avec  l'Etat-Major  allemand, 
Tcherbatcheff  prévenait  les  Austro-Allemands  que  lui 
aussi,  était  prêt  à  causer.  Qu'allait  faire  l'Ukraine? 
Sans  doute,  si  la  nouvelle  République  avait  eu  une 
existence  nationale  indépendante  de  plus  longue  du- 
rée, ;si  les  Alliés  l'avaient  tenue  en  une  moindre  sus- 
picion et  lui  avaient  fait  comprendre,  avec  toute  leur 
expérience  des  opérations  militaires,  que,  délivrée  des 
Austro-Allemands  par  un  traité  de  paix  prématuré, 
elle  aurait  encore  des  forces  trop  insuffisantes  pour 


132  LES    UKRAINIENS 


résister  à  toute  la  ])oussée  bolcheviste  qui  s'avançait 
(lu  Nord  et  de  l'Est,  elle  aurait  certainement  obéi  à  la 
suggestion  qui  lui  était  faite  :  suivre  l'exemple  de  la 
Belgique,  de  la  Serbie  et  de  la  Roumanie  et  attendre 
que  justice  lui  soit  rendue  par  la  Conférence  de  la 
Paix.  Mais  à  peine  né  à  la  vie  nationale  irwlépen- 
dante  et  recevoir  un  conseil  dont  l'exécution  va  avoir 
pour  résultat  immédiat  la  ruine  d'un  pays  inviolé 
sous  le  régime  précédent  et  la  disparition  d'un  gou- 
vernement encore  mal  assis,  mais  toutefois  existant 
et  cela  sans  recevoir  en  échange  d'autres  garanties 
qu'une  vague  promesse  de  reconnaissance  au  moment 
de  la  signature  de  la  Paix,  il  faut  avouer  qu'il  y  avait 
là  pour  le  Secrétariat  général  matière  à  réflexion. 

Or,  le  temps  manquait. 

Le  28  décembre,  les  Bolcheviks  déclarent  la  guerre 
à  l'Ukraine  et  lancent  un  appel  aux  prolétaires  ukrai- 
niens, les  invitant  à  renverser  la  Rada  «  capitaliste  et 
bourgeoise  »  ;  le  Soviet  de  Kharkov  essaye  de  se  substi- 
tuer à  la  Rada  de  Kiev.  Celle-ci  perd  la  tète.  Le  10 
janvier,  une  délégation  ukrainienne  part  pour  Brest- 
Litovsk.  Un  mois  plus  tard,  le  9  février,  un  traité  en 
bonne  et  due  forme  mettait  fin  aux  hostilités  entre 
les  Allemands,  les  Austro-Hongrois,  les  Bulgares  et 
les  Turcs,  d'une  part,  et  l'Ukraine,  d'autre  part. 

La  République  ukrainienne  a  trop  souffert  de  la  si- 
gnature de  ce  pacte  pour  ne  pas  s'en  repentir  amè- 
rement. Mais  est-elle  la  seule  coupable?  Ne  pourrait^ 


L'UKRAINE  ET  l'ALLEMAGNE  133 


on  pas  plaider  pour  elle  les  circonstances  atténuan- 
tes? L'histoire  seule  pourra  un  jour  nous  dire  si  les 
Puissances  de  l'Entente,  ou  du  moins  leurs  Représen- 
tanls  près  le  gouvernonent  ukrainien,  n'ont  pas  à  en- 
dosser quelques-unes  des  responsabilités  attribuées 
en  ce  moment  à  la  seule  Ukraine. 


CONCLUSION 


Le  moment  est  venu  pour  les  Puissances  de  l'En- 
tente et  tout  particulièrement  pour  la  France,  de  pren- 
dre une  attitude  vis-à-vis  de  la  République  ukrai^ 
nienne.  Il  serait  désastreux  de  continuer  à  lui  jeter 
l'anathème  et  à  l'abandonner,  brebis  docile,  à  l'in^ 
fluence  4e  l'Allemagne  qui  aura  vite  fait,  profitant  de 
nos  fautes,  de  l'accaparer  à  son  profit  et  de  la  trans- 
former en  quelque  colonie  d'exploitation. 

L'Ukraine  vivra-t-elle  dans  une  indépendance  com- 
plète, formera-t-el-le  une  fédération  avec  les  Etats  du 
Sud  ou  fera-t-ellc  partie  de  la  grande  fédération  des 
peuples  de  l'ancienne  Russie,  c'est  une  question  que 
l'Ukraine  seule  doit  résoudre,  car  mieux  que  person- 
ne, elle  connaît  les  besoins  et  les  aspirations  de  son 
peuple.  Actuellement,  elle  veut,  comme  la  Pologne,  la 
Finlande  et  la  Lettonie,  réunir  tous  ses  fils  sous  un 
même  drapeau  et  les  faire  vivre  libres  et  indépen- 
dants. La  France,  cette    grande    protectrice    des  na- 


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138  LES    UKRAINIKNS 


lions  faibles  el  opprimées,  voit  se  tciidre  vers  elle  les 
bras  de  tout  le  peuple  ukrainien.  Il  n'est  pas  possihU 
à  la  France  qui  a  travaillé  à  l'indépendance  de  l'Amé- 
rique, de  la  Belgique,  de  la  Grèce,  de  la  Prusse,  de  la 
Roumanie,  de  la  Serbie,  de  la  Turquie  et  de  la  Tchéco- 
slovaquie et  à  la  résurrection  de  la  Pologne,  de  ne  pas 
prêter  une  oreille  favorable  à  la  prière  du  peuple 
ukrainien,  quitte  à  prendre,  comme  pour  la  Pologne 
et  les  autres  nouveaux  Etats,  des  mesures  qui  garan- 
tiront l'avenir. 

D'autre  part,  les  aspirations  nationales  des  Ukrai- 
niens et  leur  résolution  de  vivre  désormais  unis,  pré- 
sentent un  tel  intérêt  (qu'elles  doivent  être  sérieuse- 
ment examinées,  non  seulement  par  les  diplomates 
réunis  à  la  Conférence  de  Paris,  mais  aussi  par  tous 
ceux  qui  ont  à  cœur  de  voir  naître  dans  le  monde  une 
paix  juste,  Téelle  et  durable.  Les  résolutions  qui  se- 
ront données  à  ces  aspirations  influeront  incontesta- 
blement sur  les  rapports  des  Etats  dans  l'Europe  de 
demain,  car,  les  tem,ps  sont  passés  où  les  diplomates 
pouvaient,  suivant  leur  bon  plaisir  et  suivant  les  am- 
bitions impérialistes  de  leurs  pays  respectifs,  imposer 
aux  peuples  d'Europe  des  régimes  qui  ne  répondaient 
pas  à  leurs  aspirations. 

Or,  les  Ukrainiens  du  xx'  siècle  ,ne  consentiront  ja- 
mais à  rester  ce  qu'ils  étaient  avant  la  Révolution 
russe  ni  à  devenir  autre  chose  que  des  Ukrainiens. 
Frères  des  Français  par  leur  conception  de  la  Révo- 


CONCLUSION  139 


lution,  ils  veulent  travailler  au  rafifermissement  de 
leurs  libertés  et  à  leur  propre  bien-être,  avec  le  con- 
cours et  souis  Les  inspirations  des  seuls  Français.  Aux 
Français  de  savoir  mettre  à  profit  les  sympathies  qui 
leur  sont  témoignées  et  la  confiance  qui  leur  est  faite. 


TABLE    DES    MATIERES 


AVANT-PROPOS 

PREMIERE  PARTIE 
Mon  séjour  en  Ukraine 

Mon  arrivée  à  Kiev 1 

Kiev  avant  la  Révolution 3 

La  Révolution  russe  à  Kiev 5 

Le  mouvement  nationaliste  ukrainien 7 

Démêlés  de  la  Rada  avec  le  Gouvernement  pro- 
visoire      9 

Visites  de  Français  à  Kiev  10 

L'offensive  de  Galicie   13 

Reprise  des  pourparlers  entre  Kiev  et  Pétrograd  14 

Le  coup  d'Etat  des  Bolcheviks 16 

Emeute  sanglante  à  Kiev 18 

Proclamation  de  la  République  ukrainienne  ...  20 

L'Ukraine  veut  rester  fidèle  à  l'Entente 21 

Ultimatum  du  Gouvernement  des  Soviets  russes  25 

Succès  des  troupes  bolchevistes  en  Ukraine  ...  27 

Seconde  émeute  à  Kiev   27 

Prise  de  Kiev  par  les  Bolcheviks 29 

Kiev  sous  le  régime  des  Soviets 31 


142  TAHLi:  iJi:s  .matii:mks 


Kiev  évacuée  par  les  Bolcheviks   'VA 

Coup  d'Elat  des  Allemands    .'J5 

Le  Gouvernement  du  Hetman  Skoropadsky  ...  30 

Petlioura   44 

Skoropadsky  et  l'Entente   46 

Encerclement  de  Kiev  par  l'armée  de  Petlioura  49 

Prise  de  Kiev  par  Petlioura 52 

Le  Directoire  et  les  représentants  de  l'Entente  53 

Mon  retour  en  France 57 


DEUXIEME  PARTIE 
L'Ukraine 

Frontières   ....  60 

Orographie    60 

Hydrographie   63 

Villes  principales 66 

Climat    67 

Importance  de  l'Ukraine 68 

Productions  du  sol   69 

Richesses  du  sous-sol  74 

Chasse  et  pêche 77 

Industrie    78 

Commerce  extérieur   = 81 

Littérature    S4 

Poésie  épique   ^  85 

Poésie  lyrique    86 

Poésie  satirique  88 

Fables    89 


TABLE    DES    MATIERES  143 


Théâtre    90 

Roman  et  nouvelle 92 

Histoire    95 


TROISIEME  PARTIE 
Les   Ukrainiens 

Le  terme  «  Ukraine  »   100 

Le  peuple  ukrainien  diffère  des  autres  Slaves.  .  101 

L'Ukraine  est  une  nation    104 

L'armée   ukrainienne    111 

Le  peuple  ukrainien  veut  vivre  indépendant.  .  114 
Le    peuple    ukrainien    a    gardé    le    sentiment 

national   116 

L'Ukraine  n'est  pas  bolcheviste   119 

L'Ukraine  n'est  pas  l'instrument  de  l'Allemagne  123 

Conclusion    135 

Carte  de  l'Ukraine 136-137 

Table  des  matières 141 


Imp.  Lano,  Bi.anchonh  et  C'".   7,   rue  Rochechouart,  Paris. 


0 


BINDING  SECT.  JUL  4     «Sg? 


DK       Dubreuil,  Charles 

503         Deux  années  en  Ukraine 

D8       (1917-1919) 


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